Haïti,
au cours de la dernière décennie du XXe siècle, a vu les étincelles de
la violence se succéder aux gerbes de lumières qui, jadis, bon gré mal
gré, « gouvernaient la rosée » dans ce coin de terre fondé voilà alors
près de deux siècles par d’admirables martyrs. Chacun ou presque
semblait vivre rien que grâce à de délicieuses rêveries et à la
nostalgie du passé glorieux de ce pays. À chacun de nos pas, l’on
entendait carillonner le glas en hommage à nos jours sans aurore et sans
pain. Tout avait l’air vain. Tout autour de nous, voire en nous,
semblait s’enfuir sans trêve vers des lieux incertains, même nos rêves
les plus lointains. Ouf! Heureusement que, comme Jacques Stéphen Alexis
nous l’avait dit dans son Réalisme merveilleux des Haïtiens: « …
L’artiste est un professeur d’idéal, …un chantre de l’espoir et du rêve
placés en antithèse avec les duretés et les laideurs du moment.»
Voici,
donc, 1999. « Les duretés et les laideurs du moment » sautent aux yeux.
Jacqueline Scott-Lemoine, l’inoubliable femme de plume haïtienne, du
Sénégal étant, s’est écriée: « Je ne reconnais plus mon pays! Je ne
reconnais plus Haïti! » Une fois de plus, certains de nos artistes, au
milieu de ce brouillard épais, ont su nous frayer un chemin convenable,
pour nous trouver ensuite « un logis mérité, un morceau du ciel bleu ».
Et comment, en parlant de nos « chantres de l’espoir », ne pas revenir
illico sur celui qui, de l’avis de la majorité, a marqué du sceau de son
génie notre musique et notre chant: Guy Durosier!
Notre
artiste frôle ses 68 ans. Il vit à Bothell, ville située dans la
banlieue nord de Seattle, dans l’État de Washington. Seule l’entoure la
chaleur de l’amour de sa femme Marianne et de son fils Robert. Sa
dernière publication, Réminiscences Haïtiennes, est comme son
œuvre-testament.
Des
rêves d’espoir lui chatouillent encore l’esprit. Pour reprendre
l’agréable verve que Charles Moravia avait déversée À la mémoire de
Toussaint Louverture, Guy Durosier, ce « fils d’un climat tropical, loin
de son sol natal », refuse que la nature, tel le Corse, fasse « de son
rêve sublime un horrible forfait ». Il refuse de voir endiguer le flot
croissant de son inspiration, sa seule nourriture, son principal
élément. Aussi, forme-t-il de grands desseins tant pour l’avenir
immédiat que pour le lointain. D’abord, avec son fils Robert Durosier,
il planifie la sortie d’autres Réminiscences Haïtiennes. Ensuite, il
compte participer en septembre 1999 à un programme spécial qu’organisera
au Whitman Auditorium, situé sur le campus du Brooklyn College,
l’ancien brillant percussionniste du Bossa Combo, Jean-Jean Pierre.
Malheureusement, nos voies ne sont pas celles du Très-Haut. Guy Durosier
proposait, mais Dieu, qui fait toujours les choses selon sa sagesse
infinie, disposait.
Mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf
(1999) avait à peine sonné. Tout est bien qui…commence bien. Sur l’un
des navires du « Princess Cruise Line », Guy Durosier, sa femme et son
fils effectuent un voyage en croisière à la Riviera mexicaine. Encouragé
par les siens, pendant 45 minutes, dans la salle du théâtre de ce
bâtiment, il offre un ravissant tour de chants, s’accompagnant au piano.
Selon son fils Robert Durosier : « Il a rendu la dernière soirée
euphorique pour tous les croisiéristes. » (Référence : The Maestro and
Marianne, par Robert Durosier, page 188.) C’est, rappelons-le, en ce
lieu que le prince de la chanson haïtienne se produira en public pour la
dernière fois.
Malheureusement,
après le beau temps arrive parfois la pluie. Peu de temps après cette
croisière, il commence à se plaindre de violentes migraines. Vers la fin
du printemps, un médecin de l’EvergreenHealth Medical Center, à
Kirkland, diagnostique chez notre artiste un cancer du poumon à un stade
avancé. Pour consoler sa femme désolée et pleurante, Guy, optimiste et
courageux, lui a dit : « Chérie, ne pleure pas. C’est un simple cancer…
On a dit que j’ai un cancer, mais c’est plutôt le cancer qui m’a eu. »
Sur l’heure, il reçoit une radiothérapie intense. (Référence : Idem,
pages 196, 197, 203.)
C’était
déjà peine perdue. Les traitements n’ont pas eu raison de sa tumeur
déjà maligne. Il était déjà trop tard. L’heure avait déjà sonné.
Stoïque, Guy Durosier affronte la mort avec une fermeté d’âme
proverbiale. Pour sécher les larmes de son fils, il lui a simplement dit
: « Ah ! Robert, c’est la vie ! » (Référence : Idem, page 206.) Il
semblait alors pensé à ces sublimes vers de Charles Aznavour : « Enfin
quoi qu'il puisse arriver / Et quoi que vous puissiez décider / À vous
qui m’avez tant donné / Je redis : Merci madame la vie ! »
«
Va où tu veux, meurs où tu dois. » Ce proverbe français dit vrai ! Qui,
à part de Dieu, savait que cet homme exceptionnel qui a germé le 1er
mars 1932 à la rue Montalais, au pied du Bel-Air éternel à
Port-au-Prince, allait s’éteindre à Bothell, Seattle, jusqu’au
nord-ouest des États-Unis ? Qui, à part de Dieu, savait que cette «
fleur du rêve » qui s’est épanouie à l’Institution Saint Louis de
Gonzague, au « Shango Room » de l’Hôtel Ibo Lélé, à « La Ronde » de
l’Hôtel El Rancho, à la « Bamboche Room » du Riviera Hôtel d’Haïti, à
Vert Galant, au Casino International d’Haïti, à Rumba Night Club, au
Ciné Paramount, à la HH2S, à la HH3W, au Rex Théâtre, au Théâtre de
Verdure et sur d’autres tréteaux d’Haïti, allait rendre le dernier
souffle le mercredi 18 août 1999 non loin du Pacifique ?
Même
devant la mort, Guy Durosier s’était montré gracieux. Ont témoigné ce
fait les deux dernières personnes qui, à ma connaissance, en dehors de
sa femme et de son fils Robert, ont conversé avec lui: Jean-Jean Pierre
et son ami d’adolescence, le légendaire pianiste Edner Guignard. Au
cours de sa dernière conversation avec l’ancienne vedette du Bossa
Combo, qui a eu lieu soixante-douze heures avant sa mort, Guy a dit à
son jeune admirateur comment il se sentait réconforté à chaque fois
qu’il parlait le créole, vu qu’il vit très loin de la communauté
haïtienne. (Référence : Entretien de Jean-Jean Pierre à l’émission
radiophonique Moment Créole, dimanche 22 août 1999.)
Son
échange avec Edner Guignard fut encore plus poignant. Se sachant à
l’article de la mort, Guy a fait presque un testament, sinon un acte de
contrition, digne d’un enfant de Dieu. Il a dit à son premier
accompagnateur officiel : « Edner, si je t’ai fait un mal quelconque,
pardonne-moi… J’aimerais en dire autant à tous mes anciens amis. Dis à
Féfé de m’appeler… En tout cas, ma plus grande satisfaction est que j’ai
aimé Haïti et mes frères avec passion. Je ne sais pas si j’ai beaucoup
donné à Haïti, car on ne finira jamais de lui donner assez. En tout cas,
j’ai donné tout ce que je pouvais à mon pays. » (Entrevue de LCSJ avec
Edner Guignard, 25 août 2019.) Quel souffle patriotique ! Quelle
déclaration d’amour! C’est une confession que, je n’ai aucun doute,
chacun de nous, du moins tout patriote sincère, aurait souhaité faire
avant de rendre l’âme.
Et
cette âme magnanime, il l’a rendue à Dieu le mercredi 18 août 1999, aux
environs de 4 h 30 du matin. Avec la mort de Guy Durosier, c’est une
des dernières féeriques pages de l’art haïtien qui s’est tournée. Dans
tous les domaines, rarement un Haïtien a fait l’unanimité parmi ses
pairs. Qu’il s’agisse de Raoul Guillaume, de Félix « Féfé » Guignard,
d’Edner Guignard, d’Herby Widmaïer, d’Hulric Pierre-Louis, de Kesnel
Hall, de Charles Dessalines, de Joe Trouillot, de Jean Séjour et
d’autres encore, ils ont tous admis : « Guy Durosier était le meilleur
musicien de notre génération. »
Rarement
également un artiste aura exercé une si grande influence sur les
musiciens et surtout les chanteurs de la génération suivante. À chaque
fois que je pense à Guy Durosier, je ne puis m’empêcher de ressasser la
parabole biblique du grain de blé. Guy Durosier, dans la musique
haïtienne, était un grain de blé. Il est tombé en terre, mais ne meurt
pas. Il a porté beaucoup de fruits, et des fruits variés. Il a permis la
germination et l’éclosion de vivaces bourgeons devenus de fruits
succulents. Parmi eux, on dénombre: Gary Jean-Jacques, Paul Choisil,
Raymond Marcel, André « Dadou » Pasquet, André Déjean, Mushi Widmaïer,
Yves Arsène Appolon, Adrien Jeannite, Gérard Antoine Noël, Georges
Loubert Chancy, Joseph Charles, Jr., Yvon « Kapi » André, etc. Il aurait
été très difficile de voir ces talentueux artistes sur un tréteau si le
numéro 25 de la rue Montalais, au pied du Bel-Air, n’avait pas vu
naître cette « immortelle fleur du rêve » que André Durosier et Francine
Pétrus Durosier avaient baptisée Guy Durosier!
Idem
chez les chanteurs. Sans Guy Durosier, on n’aurait pas vu scintiller
dans notre firmament cette belle constellation d’étoiles formée des Yvon
Louissaint, Jean-Elie « Cubano » Telfort, Jean-Claude Eugène, Yves
André Mardice, Chris Bazile, etc. Le témoignage final de ces trois
derniers suffira pour justifier mon assertion. En effet, l’excellent
artiste capois Jean-Claude Eugène m’a confié: « Guy Durosier est mon
idole. Mettre mon nom dans la même phrase où est mentionné le sien est
déjà un honneur. Guy Durosier est le premier chanteur haïtien de qui
j’ai suivi la trace et dont le style et la voix m’avaient vraiment
influencé. » (Entrevue de LCSJ avec Jean-Claude Eugène, Vendredi 9
octobre 2020.)
Écoutons
la voix d’un autre admirateur impénitent de notre artiste : celle du
chanteur et compositeur Yves André Mardice. M’a-t-il dit: « Guy Durosier
est de loin mon artiste haïtien préféré. Il avait une inspiration très
riche. Je ne peux comparer Guy avec aucun autre chanteur de ma
génération. Jusqu’à présent, nous n’avons pas su trouver un autre
chanteur ayant atteint son niveau. » (Entrevue de LCSJ avec Yves André
Mardice, Samedi 10 octobre 2020.)
Chris
Bazile, l’ancienne star de l’Afro Combo de Boston et du Volo Volo de
Boston, est, lui, un dévot à l’art durosiérien. Aussi est-il allé un peu
plus loin que ses collègues. Il a joint le geste à la parole. Rarement,
chez nous, un chanteur a fait un album dans lequel il a repris
exclusivement l’œuvre de son alter ego. À ma connaissance – et je peux
bien me tromper de bonne foi -, à cette date, cela s’est répété chez
nous en trois occasions: D’abord, en 1979, Gérard Dupervil a donné le
ton. Il a consacré un album entier en souvenir de la voix suave de
Rodolphe « Dòdòf » Legros. Ensuite, en 2001, la gracieuse et talentueuse
Gina Dupervil l’a fait fait pour son génial père Gérard Dupervil.
Finalement, en 2007, Chris Bazile a fait sortir un disque dans lequel il
a chanté exclusivement Guy Durosier. Quand j’ai demandé au chanteur
pétionvillois ce qui l’a poussé vers cette grandiose aventure, il m’a
répondu: « Guy Durosier était unique. Je n’ai jamais entendu quelqu’un
d’autre chanter comme lui, avec un timbre clair, puissant et propre à
lui. Ce qui m’a également attiré vers lui était son style exquis et sa
parfaite diction. » (Entrevue de LCSJ avec Chris Bazile, Vendredi 9
octobre 2020.)
Il
ne faut pas croire que Guy Durosier, en dépit de son immense talent,
n’avait pas voué une très grande admiration à nos musiciens de valeur. À
part ses camarades Raoul Guillaume, Roland Guillaume, Ernest « Nono »
Lamy, Michel Desgrottes, Félix « Féfé » Guignard, Edner Guignard, Herby
Widmaier, il avait un profond respect pour Raymond Sicot, Webert Sicot
et surtout pour l’illustre compositeur Antalcidas Murat. D’ailleurs,
parlant du « Maestro difficile », il avait admis: « Chacun a son style.
Je ne peux pas déclarer que je suis meilleur saxophoniste que Webert
Sicot. Ah ! Webert était extraordinaire, mon ami. Il avait un doigté à
nul autre pareil, une très bonne inspiration. » (Référence : Entretien
datant de la fin des années 1980 entre Dr Joseph David et Guy Durosier.)
Parmi
nos compositeurs, s’il n’avait pas tari d’éloges sur Ludovic Lamothe,
Justin Elie, Lina Mathon Blanchet, Théramène Ménès, François Alexis
Guignard, Carmen Brouard, Augustin Bruno, Antalcidas Oréus Murat et bien
d’autres, toutefois, il avait trouvé le glorieux Werner Anton
Jaegerhuber l’homme selon son cœur. Pour lui : « Beaucoup de nos
musiciens avaient bien abordé notre folklore. On peut citer, parmi eux :
Antalcidas Murat, Lina Mathon Blanchet, etc. Cependant, aucun d’eux
n’avait exploité ni compris notre folklore autant que Jaegerhuber. »
(Référence : Entretien datant de la fin des années 1980 entre Dr Joseph
David et Guy Durosier.)
À
l’étranger, s’il aimait bien Michel Legrand, Quincy Jones, Billy
Taylor, Budd Johnson et Antonio Carlos Jobim, il avait idolâtré le
chanteur, compositeur et guitariste brésilien Milton Nascimiento et le
compositeur français Henri Dutilleux.
Ses
chanteurs haïtiens préférés furent Rodolphe « Dòdòf » Legros et Herby
Widmaier. Parmi les chanteuses, il aimait Lumane Casimir, Marthe
Augustin et Martha Jean-Claude. Ailleurs, il avait donné son suffrage à
Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Jacques Brel, Ella Fitgerald, Nina
Simone, Sarah Vaughan, Billie Holiday et la Brésilienne Ellis Regina.
Guy
Durosier n’avait pas caché non plus son sentiment à l’égard de nos
ensembles musicaux. Sur ce point, il a été avare en compliments. À part
l’Orchestre Issa El Saieh, au sein duquel il a joué, il semblait n’aimer
que le Jazz des Jeunes. Au cours de la dernière entrevue publique qu’il
a accordée – c’était le 24 décembre 1998 à Tribune Tropicale, émission
de radio communautaire diffusée alors à New York -, il a déclaré sans
doute avec un peu de précipitation: « On n’a jamais eu, en Haïti, un
orchestre de l’envergure de celui d’Issa El Saieh…»
Quand,
grâce à son esprit alerte, l’un des speakers lui a alors demandé, ce
qu’il avait fait du Jazz des Jeunes, sans hésiter une seconde, il a
répondu : « Ah ! oui, il y avait également le Jazz des Jazz des Jeunes,
bien sûr. Le Jazz des Jeunes avait, en la personne d’Antalcidas Murat,
un orchestrateur hors pair… » Venant d’un musicien exigeant et du
calibre de Guy Durosier, cette déclaration mérite tout un article.
Il
sied de signaler que Guy Durosier était multi-instrumentiste. Il a joué
au moins de dix instruments: la flûte, la clarinette, le saxophone, le
piano, l’orgue, le vibraphone, la guitare, la contrebasse, la batterie
et le tambour. Quand sa fille Djénane Durosier lui a demandé quel était
son instrument préféré, il lui avait répondu que c’était le saxophone.
Guy
Durosier a tellement consacré sa vie à la scène qu’on croirait qu’il
n’avait aucune autre passion. Dès son enfance, il avait montré un vif
penchant pour l’aviation. Madame Denise Pétrus m’avait appris ceci au
sujet de son neveu: « Tout petit, dès qu’il entendait passer un avion,
il laissait tomber tout ce qu’il faisait pour aller le regarder. Et tant
que l’avion n’aura pas disparu de l’horizon, il gardait les yeux rivés
au firmament. D’ailleurs, quand, vers cinq ou six ans, on lui demandait
ce qu’il aimerait devenir quand il sera grand, il répondait toujours
aviateur. » (Référence : Entrevue téléphonique de LCSJ, avec Mme Denise
Pétrus Dupont, 20 août 2006.) On peut dire sans ambages que le désir
d’aller toujours plus loin et plus haut était déjà présent dans son
esprit et son corps d’enfant.
Certainement,
on ne peut considérer Guy Durosier comme un aviateur professionnel.
Toutefois, vers le début des années 1960, il avait pris au Québec des
cours de pilotage d’avion à Mascouche, petite ville de Lanaudière. Cette
formation lui a permis de piloter un Cessna, un avion de tourisme
monomoteur à quatre places. Le pianiste Félix « Féfé » Guignard m’a plus
d’une fois confirmé d’avoir monté en deux occasions un avion piloté par
son ami. Cela s’était passé à Montréal en 1963. À l’époque, Féfé
Guignard et Ferdinand Dor jouaient dans le groupe du saxophoniste Victor
Flambert. Cinq ans plus tard, toujours à La Belle Province, Didier
Pétrus a fait la même expérience avec son multi-talentueux cousin.
Guy
Durosier était également un mordu de sports. Ses deux disciplines
sportives préférées furent le football et surtout le golf. Dans la
première, il était, comme la majorité d’entre nous, un fol admirateur de
la sélection nationale du Brésil. Pour ce qui est de la seconde, il
s’en était adonné depuis les années 1960. En 1965, le journaliste
canadien Roche Desgagne nous avait appris: « Le chanteur Guy Durosier
consacre ses moments de loisir à perfectionner sa technique du golf. Il a
d’ailleurs une méthode originale de faire des coups roulés de faible
distance… » (Référence : Le Haïtien Guy Durosier est un ambassadeur
éloquent de son pays, par Roche Desgagne, Le Devoir, Mardi 29 juin 1965,
p. 4).
Guy
Durosier adorait Tiger Wood. D’ailleurs, il aimait se vêtir du pantalon
noir et du polo rouge de cette légende du golf. Même dans ses derniers
jours, il n’avait pas abandonné ce sport. Il y a joué à la fin du mois
de juillet, quelques heures après son traitement de radiothérapie.
(Référence : The Maestro and Marianne, par Robert Durosier, pages 172.)
Guy
Durosier était également homme éduqué, bien poli et entiché des choses
de l’esprit. Rares sont les sujets qui lui échappaient. D’abord, on
connaît déjà son envoûtement pour la poésie et le théâtre. Les sciences
sociales étaient également sa tasse de thé. En effet, bien qu’il n’eût
jamais fait d’études en sciences économiques, il pouvait aisément en
parler. Au cours d’une conversation, il a confié à son fils, qui est
pilote et économiste, qu’au lieu du keynésianisme de John Maynard
Keynes, il a plutôt donné son adhésion au monétarisme. Rappelons que
Milton Friedman, le chef de file de l’École de Chicago, fut l’un des
papes de ce dernier courant de pensée économique.
En
gros, Guy Durosier fut un homme exceptionnel, un fils authentique
d’Haïti. Lorsque, tôt le jeudi 19 août 1999, un ami m’a appelé pour
m’apprendre la nouvelle de sa mort survenue la veille, j’avais ressenti
un très grand choc. Je ne pouvais pas concevoir la musique haïtienne
sans la présence de ce grand artiste. En tout cas, je m’étais consolé à
l’idée qu’il avait fait de son mieux pour représenter dignement l’art
haïtien à l’étranger. Jean Brierre, le grand barde indigénsite, avait
dit de Werner Anton Jaegerhuber, l’une de nos anciennes gloires
musicales: « Cet homme est une motte de terre haïtienne, vibrante,
chantante, exaltée… » Constantin Dumervé, mon maître à penser, avait dit
du même compositeur : « Toute sa vie, il accorda son cœur au pays qui
le vit naître… » Je pense que, dans les deux cas, il ne serait pas
exagéré d’en dire autant de Guy Durosier.
Et
Guy Durosier a prouvé son amour pour Haïti tant par sa musique que par
ses actes. Bien qu’il eût quitté le pays définitivement à l’âge de 29
ans, jusqu’à son dernier soupir, il était demeuré un Haïtien intégral.
De ses 53 années de carrière, il en a passé 15 en Haïti et 38 à
l’étranger, et ceci, loin du milieu haïtien. Malgré cela, sur les
tréteaux du monde entier, il s’était toujours présenté comme artiste
haïtien. Tout court !
En
peu de mot, Guy Durosier n’avait jamais renié son pays ! À Nassau, il
était resté Haïtien. D’ailleurs, ses collègues des Bahamas et ceux
d’autres pays, l’avaient surnommé « Mister Haiti ». En Colombie, il
était connu comme « El Haitiano ». Voyons. En 1983, il avait fondé un
ensemble à Bogota. Il aurait pu le baptiser simplement par ses prénom et
nom, comme c’est le plus souvent le cas. Cependant, soucieux de faire
ressortir clairement sa nationalité, il l’a nommé: « El Conjunto
Haitiano Guy Durosier ». Selon moi, cela est simplement dû à un élan de
patriotisme. Au Québec, dans les années 1960, on l’appelait dans les
journaux « Le Haïtien » ou « Le soleil d’Haïti ».
Et
comme Montesquieu qui s’était écrié dans ses Cahiers : « Je suis un bon
citoyen », j’entends la voix de Guy Durosier, au sein de l’éternité de
la musique haïtienne chantant : « Je suis un bon citoyen haïtien!» Comme
Bernard Dadié, j’entends ce fol admirateur de la bonne poésie, de son
élocution bègue, psalmodiant : « Je vous remercie Dieu de m’avoir créé
Noir ! …Le Noir, c’est la couleur de tous les jours ! »
Guy
Durosier est sans conteste une gloire nationale. Pour l’honorer, il me
paraît nécessaire d’emprunter ces vers que le poète jérémien Edmond
Laforest avait consacrés à Beethoven : « Toi…, artiste à la voix
souveraine, ton génie est semblable aux riches cathédrales, plus
puissant que le roc et plus fier que le chêne… »
Ce
qui est sûr, c’est que, jusqu’à la consommation des siècles, lorsque
seront mentionnés les artistes ayant rehaussé la culture haïtienne, le
merveilleux nom de Guy Durosier sera placé au haut de la liste. Il avait
toujours voulu vivre, méringuer et valser parmi les étoiles. Pari
réussi ! En cet endroit enchanteur et magique, il s’est servi de
l’esprit d’Occide Jeanty, de l’âme de Werner Anton Jaegerhuber, de la
plume de Ludovic Lamothe, de l’encrier de Justin Elie, de la dévotion
d’Augustin Bruno et de la grâce de Lina Mathon Blanchet pour écrire
l’une des plus belles pages de la musique haïtienne. Pour ce, Guy
Durosier demeurera un artiste immortel!
Louis Carl Saint Jean
louiscarlsj@yahoo.com
16 juillet 2019
REMERCIEMENTS:
Sans
les personnes suivantes, il m’aurait été impossible de rédiger cette
centaine de pages sur Guy Durosier. Et je veux les remercier du plus
profond de mon cœur. Il s’agit de: Léopold Joseph, directeur d’Haiti
Observateur, Dr Marcelo Mitchelson, William Pierre, Félix Guignard,
Edner Guignard, Raoul Guillaume, Dr Philippe Guillaume, Djénane
Durosier, Didier Pétrus, Marc Lamarre, Michel Pressoir, Jean Neff,
Léopold Molière, Raymond Marcel, Paul Choisil, Fritz Frédéric Joassin,
Julio Racine, Joseph Charles, Jr, dit Joe Charles, Yves Arsène Appolon,
Jean-Claude Eugène, Yves André, Chris Bazile, etc.
(Dans l’au-delà: Denise Pétrus, Herby Widmaier, Joe Trouillot, Jacques Borges.)
Je
remercie également tous ceux qui m’ont envoyé des mots d’encouragement
après chacune de mes humbles publications. Je pense, en particulier, à
Alain Lebon, Guy Frantz « Gifrants » Toussaint, Pachoso Nelson, Louis
Mercier, Guesly « Ti Gousse » Morisseau, Leslie Eyma, Suze Baron, Joe
Charles, Dr Gaston Valcin, Josette Séraphin, Darwin Clermont, Réginald
Martin, Fritz Frédéric Joassin, Ronald Jean-Baptiste, Jacques Patrick
Glaure, Tido Déjean, etc.
Louis Carl Saint Jean
11 octobre 2020
—————————————-
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