lundi 14 juin 2021

SOS Corona!


La situation est alarmante dans le pays. Cette deuxième vague 
marquée  par la conjugaison des deux variants jusqu’ici identifiés donne de quoi à s’inquiéter. Des personnalités, et pas des moindre, ont fait les frais de cette pandémie tueuse.

La situation ne nous dépasse pas encore. Néanmoins, on n’en est pas trop loin, vu le rythme auquel l’infection se propage. Les cas de décès officiellement liés à cette maladie se multiplient. Les autorités ignorent les cas des personnes qui auraient rendu l’âme sans avoir été diagnostiquées.

Des personnalités connues de tous ont cassé leur pipe cette semaine.

Parmi elles, peut-on citer, Esther Dorestal, épouse de  l’ancien secrétaire d’État à la communication Eddy Jackson Alexis. La journaliste qui a rendu son dernier souffle jeudi matin recevait des soins que nécessitait son cas dans un centre hospitalier de Port-au-Prince.

Bien avant elle, le pays a pleuré  le départ du recteur de l’Université Episcopale d’Haïti (UNEPH), Lucien Jean Bernard qui a fait la grande traversée près d’une semaine après son vice-recteur, Robert Joseph. Les assauts de la pandémie, malheureusement, les ont éliminés simultanément.

Si l’Église Episcopale d’Haïti a été victime de plein fouet, la Covid-19 a tiré des flèches en plein cœur de la famille Catholique qui a vu partir prématurément certains de ses leaders. En effet, l’évêque auxiliaire de Port-au-Prince, Mgr Ducange Sylvain, a succombé aux symptômes du corona. Le prélat de l’église catholique s’est éteint à l’hôpital de Mirebalais, avant que le curé de la paroisse Notre-Dame du Rosaire, Guy Crispin ait pris le relai jeudi dernier. Ce dernier, diabétique, recevait des soins dans sa résidence privée.

D’autres personnalités comme le PDG du ranch le Montcel à kenscoff, Phillipe Vildouin ont été atteintes. Les difficultés de prise en charge, parallèlement, constituent un obstacle majeur dans la lutte contre la maladie sur le territoire du pays.

Un peu partout dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, des centres de prise en charge de personnes infectées à la  Covid-19 voient leur capacité d’accueil dépassée. Mardi dernier, l’hôpital adventiste de Diquini avait annoncé la saturation de son unité de traitement des cas de Covid-19. 24 heures avant, L’hôpital St-Luc avait pressé  les autorités de rétablir la sécurité à Drouillard en vue de pouvoir s’approvisionner en oxygène. Il avait aussi lancé un appel à la population de l’aider à acquérir une nouvelle génératrice pour pouvoir desservir la population. Trop sollicitée, sa centrale énergétique n’a pas pu tenir le coup.

Le bilan du MSPP continue de s’alourdir

Dans son rapport du 7 juin 2021, le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) avait fait état de 4 nouveaux décès liés au Covid-19. Il informe que 78 nouveaux cas confirmés, ont été recensés le 6 juin. À partir de ces nouvelles données, le bilan total est passé à 346 morts, 16 079 cas confirmés, 2 523 hospitalisations et 12 558 cas traités.

Grand-Anse 66 cas testés positifs et un mort

Si au niveau des villes de province, la population se montre plus incrédule que celle de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, cela n’insinue pas pour autant que la pandémie leur fasse du cadeau. Dans les autres départements, la population est retissente à l’application des gestes barrières. Dans la Grand-Anse, 302 personnes ont subi le test lié au coronavirus, dont 66 cas positifs et un mort, a affirmé le directeur départemental sanitaire, Angélo Duverson. Le docteur informe qu’un centre de production d’oxygène y est installé et un centre de traitement. Des institutions publiques ont été aspergées en vue de combattre le fléau, a-t-il ajouté.

Crédit: Mario Sylvain

jeudi 10 juin 2021

Covid-19 : L’épouse de l’ex secrétaire d’État Eddy Jackson Alexis est décédée


Esther Dorestal, hospitalisée depuis plusieurs jours, est décédée des suites de la Covid-19. C’est son époux, l’ancien secrétaire d’État à la communication, Eddy Jackson Alexis qui a annoncé cette triste nouvelle sur son compte Twitter.


« C’est dur d’accepter et d’avaler mais c’est un fait. J’ai perdu ma femme Esther, Kot. Elle n’a pas survécu à la COVID-19 . Ayy. Maudite pandémie ! », a écrit l’ancien journaliste.

« Testée positive à la COVID-19, après plusieurs jours d’hospitalisation, ma Esther, a été placée sous respirateur artificiel. Son état de santé est devenu inquiétant. Li pa dòmi depi plis pase yon semen », avait fait savoir son époux attristé quelques jours auparavant.

mercredi 9 juin 2021

Émerante de Pradines

 


Émerante de Pradines Morse, née Émerante de Pradines le 24 septembre 1918 à Port-au-Prince et morte le 4 janvier 2018 dans la même ville, est une danseuse, chorégraphe, chanteuse, actrice et folkloriste haïtienne.


Fille du chanteur Auguste de Pradines, dit Ti-Candio et tante de l'ancien président et musicien Haïtien Michel Joseph Martelly, elle grandit dans un environnement artistique et touche à plusieurs disciplines artistiques: poésie, chant, théâtre, danse. Elle étudie à l'École nationale supérieure de Haïti et à l'université Columbia, en anthropologie, où elle rencontre son mari, le professeur Richard McGee Morse.
 
En tant que danseuse, chanteuse et comédienne, membre de la Société nationale d’art dramatique, elle a œuvré pour promouvoir en Haïti et à l'étranger la culture haïtienne traditionnelle, notamment les rythmes et les danses du vaudou.


Chanteuse, danseuse, actrice…, elle s'est révélée, ici autant qu'à l'étranger, plus qu'un témoin, l'une des zélées protagonistes d'un mouvement culturel en pleine affirmation.
 
Fille du chanteur-compositeur haïtien Auguste de Pradines, Ti-Candio, Emerante, pour n'avoir connu, dès son plus jeune âge, qu'une chaleureuse atmosphère artistique entretenue dans la maison familiale et pour avoir eu par ailleurs, très jeune, le privilège, rare à l'époque de se frotter à la culture populaire et au vodou, vit et laisse à voir son parcours comme tracé d'avance.

 
Souvent enfant, Emerante chantait avec son père. Aux acquis gagnés à cet environnement de poésie, de musique et de danse viendra se greffer une formation musicale parfaite sous la coupe de Lina Mathon-Blanchet et avec René Bélance comme introducteur de chant. Ainsi donc, à 10 ans déjà, sans peine aucune, elle fait ses premières prestations à la radio en récitant des poèmes dans une émission culturelle. Plus tard, autour de 1942 - 1945, une présence assidue sur scène la donne à apprécier aux côtés des acteurs les plus réputés et dans les grandes pièces de l'époque dont Fifine et Toutou, La Famille des Pitite-caille, Lococia, Sanite Belair de Jeanne Perez (où elle chantera sa première chanson vodou sur scène), Le Baiser de l'Aïeule de Dominique Hyppolite, Barrières de Dorsinville... C'est aussi à cette époque que répondant aux invitations répétées des représentations étrangères en Haïti, notamment celles des USA, du Chili, de France…, Emerante de Pradines s'y produira dans des spectacles de danse ou de chant (où se révélera d'ailleurs le talent de Martha Jean-Claude qui l'accompagnait souvent en seconde).

 
De toutes ces sollicitations, c'est pourtant la danse qui, semble alors gagner le cœur et l'avenir d'Emerante. En 1947, une première bourse d'études l'amène à New-York, à l'Ecole de danse moderne et primitive de Katherine Dunham où elle apprend puis enseigne la technique Dunham que, bientôt après, de 1950 à 1954, elle introduit en Haïti avec la fondation de La Troupe haïtienne de danse. Dans l'euphorie et la fièvre qu'on connaît à cette époque, elle sera également membre et actrice de la Société Nationale d'Art Dramatique, directrice de la section féminine de la Troupe folklorique nationale (elle y rencontre Lumane Casimir pour la première fois en 1952) et trouvera de temps du reste pour l'animation de l'émission radiophonique «L'heure de l'Art».

 
En 1954, une deuxième bourse de la Fondation de Parapsychologie ravira à Haïti, et pour plus d'une trentaine d'années cette fois, la dynamique Emerante. De retour à New-York elle poursuit ses études sur les techniques de danse moderne à l'Ecole Martha Graham et entreprend des travaux en Anthropologie à Columbia University où elle rencontre et épouse le Professeur Richard McGee Morse. A Porto-Rico, où elle est appelée à l'Inter American University en 1960, pour la mise au point d'un curriculum de danse, plus tard, à New Haven (Connecticut) où elle fonde et dirige pendant près de vingt ans une école de danse, Emerante mènera une carrière artistique et professionnelle dont, dans son pays, on parlera que peu même à son retour définitif à la fin des années 80.
 
Depuis 1993, Emerante de Pradines dirige avec son mari, l'Institut haïtien de l'Amérique Latine et des Caraïbes qu'ensemble ils ont fondé et qui se propose d'étudier la culture et les institutions de la Caraïbe tout en établissant un service d'échanges et de coopération entre les pays de la Région...

Webert Sicot


 Webert Sicot, (1934-1985 à Port-au-Prince) est un musicien Haïtien, multi-instrumentiste et saxophoniste de génie. Il s'est frayé très tôt un chemin dans le music-hall Haïtien après avoir été formé avec son frère Raymond par l'un des plus célèbres musiciens de l'époque à Haïti: Augustin Bruno ( surnommé «le manchot des Casernes Dessalines» ).


Musicien dans l’âme, Wébert Sicot a, dès l’adolescence, fréquenté les musiciens les plus expérimentés tels que François Guignard. C'est celui-ci qui recommanda l’adolescent ainsi que son frère Raymond à Claudin Toussaint qui les embaucha afin de renforcer les rangs de son «Jazz Capois». C'est là que Wébert Sicot entama sa carrière de musicien professionnel.
Dés lors, Wébert Sicot fera la navette entre le Jazz des Jeunes et L’orchestre Saieh avec lequel il enregistrera un disque.


Il se retrouve ensuite au sein du Conjunto international ( futur ENSEMBLE aux CALEBASSES ), sous la conduite de son ami Nemours Jean Baptiste avec lequel il créera le rythme compas et entrera plus tard en rivalité .


Fin 1955, il quitte l'Ensemble aux Calebasses pour l'Ensemble Cabane Choucoune avec lequel il enregistre sur le label " La Belle Créole " sous le nom de Wébert SICOT ans his Cabane Choucoune Ensemble.

Entre 1955 et 1956 Il joue au sein de l'Orchestre Citadelle et du CASINO INTERNATIONAL en tournée en Italie avec Joe TROUILLOT.

En 59, les frères Sicot fondent leur propre orchestre, La Flèche d’or, en recrutant quelques anciens membres du groupe LATINO (dont Gary FRENCH) et s'installent au Palladium de Bizoton.


Les frères Sicot cessent vite leur collaboration, et Sicot, à la tête de sa formation entre en concurrence avec les meilleures formations tel que le «Jazz des Jeunes» et «l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste».
Une polémique né alors avec la bande à Nemours Jean-Baptiste au sujet du morceau “Sispan ‘n voye Tach”.


Pour se démarquer du style compas direct que maintenait Nemours Jean-Baptiste,
Sicot élabore alors une variante de la méringue haïtienne et du calypso , le "Cadence Rampas".


En 1968, la mode ayant tourné ( avec la vague mini jazz ) et fuyant la dictature de Papa Doc, Webert Sicot s'installe à New-York où il continue à jouer pour un public de cabaret.
II en profite pour monter l' Orchestre Le Jeune, avec la collaboration de vétérans comme Charles Delva et Duffont Mayala et avec les quels il réalise un disque instrumental .
Il revient en Haïti au milieu des années 1970 pour reformer son orchestre et reconquérir un public entiché d’une musique plus légère initiée par les mini-jazz. II participe à une tentative du groupe Zotobre de Serge Rosenthal qui ne fait pas long feu.
En 1977, il renoue avec l’ambiance du carnaval, histoire de prouver au public qu’il n’a rien perdu de sa verve.


Debout sur un char,II joue si éperdument qu’ il n'aperçoit pas la branche d’arbre qui, à l’angle des rues Mgr Guilloux et Oswald Durand, l’éjecte du char et l’envoie à l’hôpital.
Il réalisa deux ou trois oeuvres en solo (dont “Webert Sicot, The Greatest”) , fit dernier baroud d’honneur en commun avec son ami Nemours réconcilié (“L’union”) et une collaboration remarquée au sein de l’Orchestre de la Radio Nationale, sous la conduite du maestro Raoul Guillaume.

Cardiaque, Sicot est mort en février 1985 en pleine ambiance carnavalesque.

Nemours Jean Baptiste, figure de légende

 


Le 26 juillet 1955, date de la formation de l'Ensemble Aux Calebasses et donc de la création du compas, marque aussi un nouveau départ dans la carrière de Nemours Jean Baptiste. À partir de cette date, l'Ensemble Aux Calebasses, porté sur le fonts baptismaux le jour de la Sainte-Anne, fut adopté dans un enthousiasme tel que le nom de son maestro était sur toutes les lèvres.
 La légende Nemours était née.

Né à Port-au-Prince le 2 février 1914, Nemours Jean-Baptiste a vécu une enfance plutôt difficile. Il fera seulement les trois premières classes primaires à l'école Jean-Marie Guilloux surnommée alors le Théâtre. Musicien, il a débuté dans la musique comme guitariste au Trio d'Anilus Cadet qui animait souvent dés émissions à la Radio HH2S. Ce fut le maestro de l'orchestre Panorama des Cayes, Destinoble Barrateau, qui l'initia au saxophone lors d'un séjour aux Cayes où Nemours, avec son banjo pour tout bagage, était allé en quête du pain quotidien. Plus tard, il sera à l'école de Sicot qui lui apprendra la maîtrise du saxophone. En 1958, trois ans après avoir donné naissance au compas, il rebaptise son groupe L'Ensemble Aux Calebasses qui devient Ensemble Compas Direct, qui lui-même ne tarde pas à devenir Ensemble Nemours Jean-Baptiste. 

 

Le nouvel Ensemble s'implante solidement et engage la polémique avec le Jazz des Jeunes. En 1961, « La coqueluche de Port-au-Prince », comme l'a surnommé le public port-au-princien, anime des soirées au Palladium d'Haïti. Et c'est au cours de cette année que prend naissance à Port-au-Prince un nouveau groupe musical: L'Ensemble Weber Sicot, cadence rampas, après avoir quitté l'ensemble de Nemours avec lequel il a élaboré le rythme aujourd'hui cinquantenaire. En 1962, la participation remarquée de cadence rampas aux festivités carnavalesques fait grandir sa popularité et insuffle un sang neuf au carnaval haïtien. 

 

A tel point que l'année suivante, l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste décide de lui emboîter le pas. Commence alors une longue période de polémique entre les deux groupes qui atteint son point culminant en 1964 avec le match musical et de football entre les deux formations qui s'est déroulé le 8 avril sous la direction de Raoul Guillaume et s'achève, tandis que souffle très fort le vent des mini-jazz, par la disparition des deux super ensembles (départ pour les États-Unis) de la scène: Sicot (1968), Nemours (1969). On connaît la suite. Nemours Jean-Baptiste qui s'est éteint dans sa 71ème année est le père créateur d'un rythme aujourd'hui international. Joué en Haïti, aux États-Unis, aux Antilles, il est admis dans l'Hexagone aux Champs-Elysées. C'est peut-être la suprême consécration pour le compas. 

 

Les générations de plus de 55 ans se souviendront longtemps encore de la musique entraînante de l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste, de ses savoureuses compositions surtout trop nombreuses pour être citées ici. Ils se souviendront: que ce soit dans les cocktails dansant à Kenscoff, à Radio Port-au-Prince, à Mahotière, au Club Camaraderie, au Casino International, à Cabane Créole ou au Palmiste Night club; que ce soit dans les ciné-festivals du Rex, de Lido, de Magic Ciné, de Rivoli, de Cabanon; que ce fut dans les soirées dansantes Aux Calebasses Night Club, au Paladium d'Haïti, à Cabane Choucoune: que ce soit sur les ondes où étaient diffusées les émissions: 63 rue des Casernes, Eddy Publicité, Tessier Publicité: que ce soit enfin dans l'ambiance survoltée rouge et blanc, en pleine rue, des carnavals des années 60. 

 

Le maestro Nemours Jean Baptiste est mort dans la tristesse et le chagrin. Devenu aveugle, il a vécu les dernières années de son existence dans le noir. Il décédera le 18 mai 1985, jour de l'inhumation à New York du chanteur lead de DP Express Antoine Rossini Jean Baptiste (Ti Manno), autre figure de légende décédée le 13 mai à l'Hôpital de l'Université d'État d'Haïti. 

 

En léguant le compas direct, Nemours traça un chemin qui l'a amené dans la légende de la musique nationale par la grande porte. A l'instar d'un Occide Jeanty, le père de l'écriture orchestrale haïtienne, il a été à la source de l'authenticité, de l'originalité et de la renaissance des rythmes locaux. Parmi tous ces géants qui ont montré la voie, Nemours fut l'un des plus déterminants. Pour avoir inventé le style et une identification musicale ambiante du terroir, il demeure un innovateur hors pair, l'architecte du rythme le plus populaire d'Haïti.

 

Crédit: Le Nouvelliste

Guy Durosier : L’itinéraire d’ un artiste immortel


Haïti, au cours de la dernière décennie du XXe siècle, a vu les étincelles de la violence se succéder aux gerbes de lumières qui, jadis, bon gré mal gré, « gouvernaient la rosée » dans ce coin de terre fondé voilà alors près de deux siècles par d’admirables martyrs. Chacun ou presque semblait vivre rien que grâce à de délicieuses rêveries et à la nostalgie du passé glorieux de ce pays. À chacun de nos pas, l’on entendait carillonner le glas en hommage à nos jours sans aurore et sans pain. Tout avait l’air vain. Tout autour de nous, voire en nous, semblait s’enfuir sans trêve vers des lieux incertains, même nos rêves les plus lointains. Ouf! Heureusement que, comme Jacques Stéphen Alexis nous l’avait dit dans son Réalisme merveilleux des Haïtiens: « … L’artiste est un professeur d’idéal, …un chantre de l’espoir et du rêve placés en antithèse avec les duretés et les laideurs du moment.»

Voici, donc, 1999. « Les duretés et les laideurs du moment » sautent aux yeux. Jacqueline Scott-Lemoine, l’inoubliable femme de plume haïtienne, du Sénégal étant, s’est écriée: « Je ne reconnais plus mon pays! Je ne reconnais plus Haïti! » Une fois de plus, certains de nos artistes, au milieu de ce brouillard épais, ont su nous frayer un chemin convenable, pour nous trouver ensuite « un logis mérité, un morceau du ciel bleu ». Et comment, en parlant de nos « chantres de l’espoir », ne pas revenir illico sur celui qui, de l’avis de la majorité, a marqué du sceau de son génie notre musique et notre chant: Guy Durosier!

Notre artiste frôle ses 68 ans. Il vit à Bothell, ville située dans la banlieue nord de Seattle, dans l’État de Washington. Seule l’entoure la chaleur de l’amour de sa femme Marianne et de son fils Robert. Sa dernière publication, Réminiscences Haïtiennes, est comme son œuvre-testament.

Des rêves d’espoir lui chatouillent encore l’esprit. Pour reprendre l’agréable verve que Charles Moravia avait déversée À la mémoire de Toussaint Louverture, Guy Durosier, ce « fils d’un climat tropical, loin de son sol natal », refuse que la nature, tel le Corse, fasse « de son rêve sublime un horrible forfait ». Il refuse de voir endiguer le flot croissant de son inspiration, sa seule nourriture, son principal élément. Aussi, forme-t-il de grands desseins tant pour l’avenir immédiat que pour le lointain. D’abord, avec son fils Robert Durosier, il planifie la sortie d’autres Réminiscences Haïtiennes. Ensuite, il compte participer en septembre 1999 à un programme spécial qu’organisera au Whitman Auditorium, situé sur le campus du Brooklyn College, l’ancien brillant percussionniste du Bossa Combo, Jean-Jean Pierre. Malheureusement, nos voies ne sont pas celles du Très-Haut. Guy Durosier proposait, mais Dieu, qui fait toujours les choses selon sa sagesse infinie, disposait.

Mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf (1999) avait à peine sonné. Tout est bien qui…commence bien. Sur l’un des navires du « Princess Cruise Line », Guy Durosier, sa femme et son fils effectuent un voyage en croisière à la Riviera mexicaine. Encouragé par les siens, pendant 45 minutes, dans la salle du théâtre de ce bâtiment, il offre un ravissant tour de chants, s’accompagnant au piano. Selon son fils Robert Durosier : « Il a rendu la dernière soirée euphorique pour tous les croisiéristes. » (Référence : The Maestro and Marianne, par Robert Durosier, page 188.) C’est, rappelons-le, en ce lieu que le prince de la chanson haïtienne se produira en public pour la dernière fois.

Malheureusement, après le beau temps arrive parfois la pluie. Peu de temps après cette croisière, il commence à se plaindre de violentes migraines. Vers la fin du printemps, un médecin de l’EvergreenHealth Medical Center, à Kirkland, diagnostique chez notre artiste un cancer du poumon à un stade avancé. Pour consoler sa femme désolée et pleurante, Guy, optimiste et courageux, lui a dit : « Chérie, ne pleure pas. C’est un simple cancer… On a dit que j’ai un cancer, mais c’est plutôt le cancer qui m’a eu. » Sur l’heure, il reçoit une radiothérapie intense. (Référence : Idem, pages 196, 197, 203.)

C’était déjà peine perdue. Les traitements n’ont pas eu raison de sa tumeur déjà maligne. Il était déjà trop tard. L’heure avait déjà sonné. Stoïque, Guy Durosier affronte la mort avec une fermeté d’âme proverbiale. Pour sécher les larmes de son fils, il lui a simplement dit : « Ah ! Robert, c’est la vie ! » (Référence : Idem, page 206.) Il semblait alors pensé à ces sublimes vers de Charles Aznavour : « Enfin quoi qu'il puisse arriver / Et quoi que vous puissiez décider / À vous qui m’avez tant donné / Je redis : Merci madame la vie ! »

« Va où tu veux, meurs où tu dois. » Ce proverbe français dit vrai ! Qui, à part de Dieu, savait que cet homme exceptionnel qui a germé le 1er mars 1932 à la rue Montalais, au pied du Bel-Air éternel à Port-au-Prince, allait s’éteindre à Bothell, Seattle, jusqu’au nord-ouest des États-Unis ? Qui, à part de Dieu, savait que cette « fleur du rêve » qui s’est épanouie à l’Institution Saint Louis de Gonzague, au « Shango Room » de l’Hôtel Ibo Lélé, à « La Ronde » de l’Hôtel El Rancho, à la « Bamboche Room » du Riviera Hôtel d’Haïti, à Vert Galant, au Casino International d’Haïti, à Rumba Night Club, au Ciné Paramount, à la HH2S, à la HH3W, au Rex Théâtre, au Théâtre de Verdure et sur d’autres tréteaux d’Haïti, allait rendre le dernier souffle le mercredi 18 août 1999 non loin du Pacifique ?

Même devant la mort, Guy Durosier s’était montré gracieux. Ont témoigné ce fait les deux dernières personnes qui, à ma connaissance, en dehors de sa femme et de son fils Robert, ont conversé avec lui: Jean-Jean Pierre et son ami d’adolescence, le légendaire pianiste Edner Guignard. Au cours de sa dernière conversation avec l’ancienne vedette du Bossa Combo, qui a eu lieu soixante-douze heures avant sa mort, Guy a dit à son jeune admirateur comment il se sentait réconforté à chaque fois qu’il parlait le créole, vu qu’il vit très loin de la communauté haïtienne. (Référence : Entretien de Jean-Jean Pierre à l’émission radiophonique Moment Créole, dimanche 22 août 1999.)

Son échange avec Edner Guignard fut encore plus poignant. Se sachant à l’article de la mort, Guy a fait presque un testament, sinon un acte de contrition, digne d’un enfant de Dieu. Il a dit à son premier accompagnateur officiel : « Edner, si je t’ai fait un mal quelconque, pardonne-moi… J’aimerais en dire autant à tous mes anciens amis. Dis à Féfé de m’appeler… En tout cas, ma plus grande satisfaction est que j’ai aimé Haïti et mes frères avec passion. Je ne sais pas si j’ai beaucoup donné à Haïti, car on ne finira jamais de lui donner assez. En tout cas, j’ai donné tout ce que je pouvais à mon pays. » (Entrevue de LCSJ avec Edner Guignard, 25 août 2019.) Quel souffle patriotique ! Quelle déclaration d’amour! C’est une confession que, je n’ai aucun doute, chacun de nous, du moins tout patriote sincère, aurait souhaité faire avant de rendre l’âme.

Et cette âme magnanime, il l’a rendue à Dieu le mercredi 18 août 1999, aux environs de 4 h 30 du matin. Avec la mort de Guy Durosier, c’est une des dernières féeriques pages de l’art haïtien qui s’est tournée. Dans tous les domaines, rarement un Haïtien a fait l’unanimité parmi ses pairs. Qu’il s’agisse de Raoul Guillaume, de Félix « Féfé » Guignard, d’Edner Guignard, d’Herby Widmaïer, d’Hulric Pierre-Louis, de Kesnel Hall, de Charles Dessalines, de Joe Trouillot, de Jean Séjour et d’autres encore, ils ont tous admis : « Guy Durosier était le meilleur musicien de notre génération. »

Rarement également un artiste aura exercé une si grande influence sur les musiciens et surtout les chanteurs de la génération suivante. À chaque fois que je pense à Guy Durosier, je ne puis m’empêcher de ressasser la parabole biblique du grain de blé. Guy Durosier, dans la musique haïtienne, était un grain de blé. Il est tombé en terre, mais ne meurt pas. Il a porté beaucoup de fruits, et des fruits variés. Il a permis la germination et l’éclosion de vivaces bourgeons devenus de fruits succulents. Parmi eux, on dénombre: Gary Jean-Jacques, Paul Choisil, Raymond Marcel, André « Dadou » Pasquet, André Déjean, Mushi Widmaïer, Yves Arsène Appolon, Adrien Jeannite, Gérard Antoine Noël, Georges Loubert Chancy, Joseph Charles, Jr., Yvon « Kapi » André, etc. Il aurait été très difficile de voir ces talentueux artistes sur un tréteau si le numéro 25 de la rue Montalais, au pied du Bel-Air, n’avait pas vu naître cette « immortelle fleur du rêve » que André Durosier et Francine Pétrus Durosier avaient baptisée Guy Durosier!

Idem chez les chanteurs. Sans Guy Durosier, on n’aurait pas vu scintiller dans notre firmament cette belle constellation d’étoiles formée des Yvon Louissaint, Jean-Elie « Cubano » Telfort, Jean-Claude Eugène, Yves André Mardice, Chris Bazile, etc. Le témoignage final de ces trois derniers suffira pour justifier mon assertion. En effet, l’excellent artiste capois Jean-Claude Eugène m’a confié: « Guy Durosier est mon idole. Mettre mon nom dans la même phrase où est mentionné le sien est déjà un honneur. Guy Durosier est le premier chanteur haïtien de qui j’ai suivi la trace et dont le style et la voix m’avaient vraiment influencé. » (Entrevue de LCSJ avec Jean-Claude Eugène, Vendredi 9 octobre 2020.)

Écoutons la voix d’un autre admirateur impénitent de notre artiste : celle du chanteur et compositeur Yves André Mardice. M’a-t-il dit: « Guy Durosier est de loin mon artiste haïtien préféré. Il avait une inspiration très riche. Je ne peux comparer Guy avec aucun autre chanteur de ma génération. Jusqu’à présent, nous n’avons pas su trouver un autre chanteur ayant atteint son niveau. » (Entrevue de LCSJ avec Yves André Mardice, Samedi 10 octobre 2020.)

Chris Bazile, l’ancienne star de l’Afro Combo de Boston et du Volo Volo de Boston, est, lui, un dévot à l’art durosiérien. Aussi est-il allé un peu plus loin que ses collègues. Il a joint le geste à la parole. Rarement, chez nous, un chanteur a fait un album dans lequel il a repris exclusivement l’œuvre de son alter ego. À ma connaissance – et je peux bien me tromper de bonne foi -, à cette date, cela s’est répété chez nous en trois occasions: D’abord, en 1979, Gérard Dupervil a donné le ton. Il a consacré un album entier en souvenir de la voix suave de Rodolphe « Dòdòf » Legros. Ensuite, en 2001, la gracieuse et talentueuse Gina Dupervil l’a fait fait pour son génial père Gérard Dupervil. Finalement, en 2007, Chris Bazile a fait sortir un disque dans lequel il a chanté exclusivement Guy Durosier. Quand j’ai demandé au chanteur pétionvillois ce qui l’a poussé vers cette grandiose aventure, il m’a répondu: « Guy Durosier était unique. Je n’ai jamais entendu quelqu’un d’autre chanter comme lui, avec un timbre clair, puissant et propre à lui. Ce qui m’a également attiré vers lui était son style exquis et sa parfaite diction. » (Entrevue de LCSJ avec Chris Bazile, Vendredi 9 octobre 2020.)

Il ne faut pas croire que Guy Durosier, en dépit de son immense talent, n’avait pas voué une très grande admiration à nos musiciens de valeur. À part ses camarades Raoul Guillaume, Roland Guillaume, Ernest « Nono » Lamy, Michel Desgrottes, Félix « Féfé » Guignard, Edner Guignard, Herby Widmaier, il avait un profond respect pour Raymond Sicot, Webert Sicot et surtout pour l’illustre compositeur Antalcidas Murat. D’ailleurs, parlant du « Maestro difficile », il avait admis: « Chacun a son style. Je ne peux pas déclarer que je suis meilleur saxophoniste que Webert Sicot. Ah ! Webert était extraordinaire, mon ami. Il avait un doigté à nul autre pareil, une très bonne inspiration. » (Référence : Entretien datant de la fin des années 1980 entre Dr Joseph David et Guy Durosier.)

Parmi nos compositeurs, s’il n’avait pas tari d’éloges sur Ludovic Lamothe, Justin Elie, Lina Mathon Blanchet, Théramène Ménès, François Alexis Guignard, Carmen Brouard, Augustin Bruno, Antalcidas Oréus Murat et bien d’autres, toutefois, il avait trouvé le glorieux Werner Anton Jaegerhuber l’homme selon son cœur. Pour lui : « Beaucoup de nos musiciens avaient bien abordé notre folklore. On peut citer, parmi eux : Antalcidas Murat, Lina Mathon Blanchet, etc. Cependant, aucun d’eux n’avait exploité ni compris notre folklore autant que Jaegerhuber. » (Référence : Entretien datant de la fin des années 1980 entre Dr Joseph David et Guy Durosier.)

À l’étranger, s’il aimait bien Michel Legrand, Quincy Jones, Billy Taylor, Budd Johnson et Antonio Carlos Jobim, il avait idolâtré le chanteur, compositeur et guitariste brésilien Milton Nascimiento et le compositeur français Henri Dutilleux.

Ses chanteurs haïtiens préférés furent Rodolphe « Dòdòf » Legros et Herby Widmaier. Parmi les chanteuses, il aimait Lumane Casimir, Marthe Augustin et Martha Jean-Claude. Ailleurs, il avait donné son suffrage à Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Jacques Brel, Ella Fitgerald, Nina Simone, Sarah Vaughan, Billie Holiday et la Brésilienne Ellis Regina.

Guy Durosier n’avait pas caché non plus son sentiment à l’égard de nos ensembles musicaux. Sur ce point, il a été avare en compliments. À part l’Orchestre Issa El Saieh, au sein duquel il a joué, il semblait n’aimer que le Jazz des Jeunes. Au cours de la dernière entrevue publique qu’il a accordée – c’était le 24 décembre 1998 à Tribune Tropicale, émission de radio communautaire diffusée alors à New York -, il a déclaré sans doute avec un peu de précipitation: « On n’a jamais eu, en Haïti, un orchestre de l’envergure de celui d’Issa El Saieh…»

Quand, grâce à son esprit alerte, l’un des speakers lui a alors demandé, ce qu’il avait fait du Jazz des Jeunes, sans hésiter une seconde, il a répondu : « Ah ! oui, il y avait également le Jazz des Jazz des Jeunes, bien sûr. Le Jazz des Jeunes avait, en la personne d’Antalcidas Murat, un orchestrateur hors pair… » Venant d’un musicien exigeant et du calibre de Guy Durosier, cette déclaration mérite tout un article.

Il sied de signaler que Guy Durosier était multi-instrumentiste. Il a joué au moins de dix instruments: la flûte, la clarinette, le saxophone, le piano, l’orgue, le vibraphone, la guitare, la contrebasse, la batterie et le tambour. Quand sa fille Djénane Durosier lui a demandé quel était son instrument préféré, il lui avait répondu que c’était le saxophone.

Guy Durosier a tellement consacré sa vie à la scène qu’on croirait qu’il n’avait aucune autre passion. Dès son enfance, il avait montré un vif penchant pour l’aviation. Madame Denise Pétrus m’avait appris ceci au sujet de son neveu: « Tout petit, dès qu’il entendait passer un avion, il laissait tomber tout ce qu’il faisait pour aller le regarder. Et tant que l’avion n’aura pas disparu de l’horizon, il gardait les yeux rivés au firmament. D’ailleurs, quand, vers cinq ou six ans, on lui demandait ce qu’il aimerait devenir quand il sera grand, il répondait toujours aviateur. » (Référence : Entrevue téléphonique de LCSJ, avec Mme Denise Pétrus Dupont, 20 août 2006.) On peut dire sans ambages que le désir d’aller toujours plus loin et plus haut était déjà présent dans son esprit et son corps d’enfant.

Certainement, on ne peut considérer Guy Durosier comme un aviateur professionnel. Toutefois, vers le début des années 1960, il avait pris au Québec des cours de pilotage d’avion à Mascouche, petite ville de Lanaudière. Cette formation lui a permis de piloter un Cessna, un avion de tourisme monomoteur à quatre places. Le pianiste Félix « Féfé » Guignard m’a plus d’une fois confirmé d’avoir monté en deux occasions un avion piloté par son ami. Cela s’était passé à Montréal en 1963. À l’époque, Féfé Guignard et Ferdinand Dor jouaient dans le groupe du saxophoniste Victor Flambert. Cinq ans plus tard, toujours à La Belle Province, Didier Pétrus a fait la même expérience avec son multi-talentueux cousin.

Guy Durosier était également un mordu de sports. Ses deux disciplines sportives préférées furent le football et surtout le golf. Dans la première, il était, comme la majorité d’entre nous, un fol admirateur de la sélection nationale du Brésil. Pour ce qui est de la seconde, il s’en était adonné depuis les années 1960. En 1965, le journaliste canadien Roche Desgagne nous avait appris: « Le chanteur Guy Durosier consacre ses moments de loisir à perfectionner sa technique du golf. Il a d’ailleurs une méthode originale de faire des coups roulés de faible distance… » (Référence : Le Haïtien Guy Durosier est un ambassadeur éloquent de son pays, par Roche Desgagne, Le Devoir, Mardi 29 juin 1965, p. 4).

Guy Durosier adorait Tiger Wood. D’ailleurs, il aimait se vêtir du pantalon noir et du polo rouge de cette légende du golf. Même dans ses derniers jours, il n’avait pas abandonné ce sport. Il y a joué à la fin du mois de juillet, quelques heures après son traitement de radiothérapie. (Référence : The Maestro and Marianne, par Robert Durosier, pages 172.)

Guy Durosier était également homme éduqué, bien poli et entiché des choses de l’esprit. Rares sont les sujets qui lui échappaient. D’abord, on connaît déjà son envoûtement pour la poésie et le théâtre. Les sciences sociales étaient également sa tasse de thé. En effet, bien qu’il n’eût jamais fait d’études en sciences économiques, il pouvait aisément en parler. Au cours d’une conversation, il a confié à son fils, qui est pilote et économiste, qu’au lieu du keynésianisme de John Maynard Keynes, il a plutôt donné son adhésion au monétarisme. Rappelons que Milton Friedman, le chef de file de l’École de Chicago, fut l’un des papes de ce dernier courant de pensée économique.

En gros, Guy Durosier fut un homme exceptionnel, un fils authentique d’Haïti. Lorsque, tôt le jeudi 19 août 1999, un ami m’a appelé pour m’apprendre la nouvelle de sa mort survenue la veille, j’avais ressenti un très grand choc. Je ne pouvais pas concevoir la musique haïtienne sans la présence de ce grand artiste. En tout cas, je m’étais consolé à l’idée qu’il avait fait de son mieux pour représenter dignement l’art haïtien à l’étranger. Jean Brierre, le grand barde indigénsite, avait dit de Werner Anton Jaegerhuber, l’une de nos anciennes gloires musicales: « Cet homme est une motte de terre haïtienne, vibrante, chantante, exaltée… » Constantin Dumervé, mon maître à penser, avait dit du même compositeur : « Toute sa vie, il accorda son cœur au pays qui le vit naître… » Je pense que, dans les deux cas, il ne serait pas exagéré d’en dire autant de Guy Durosier.

Et Guy Durosier a prouvé son amour pour Haïti tant par sa musique que par ses actes. Bien qu’il eût quitté le pays définitivement à l’âge de 29 ans, jusqu’à son dernier soupir, il était demeuré un Haïtien intégral. De ses 53 années de carrière, il en a passé 15 en Haïti et 38 à l’étranger, et ceci, loin du milieu haïtien. Malgré cela, sur les tréteaux du monde entier, il s’était toujours présenté comme artiste haïtien. Tout court !

En peu de mot, Guy Durosier n’avait jamais renié son pays ! À Nassau, il était resté Haïtien. D’ailleurs, ses collègues des Bahamas et ceux d’autres pays, l’avaient surnommé « Mister Haiti ». En Colombie, il était connu comme « El Haitiano ». Voyons. En 1983, il avait fondé un ensemble à Bogota. Il aurait pu le baptiser simplement par ses prénom et nom, comme c’est le plus souvent le cas. Cependant, soucieux de faire ressortir clairement sa nationalité, il l’a nommé: « El Conjunto Haitiano Guy Durosier ». Selon moi, cela est simplement dû à un élan de patriotisme. Au Québec, dans les années 1960, on l’appelait dans les journaux « Le Haïtien » ou « Le soleil d’Haïti ».

Et comme Montesquieu qui s’était écrié dans ses Cahiers : « Je suis un bon citoyen », j’entends la voix de Guy Durosier, au sein de l’éternité de la musique haïtienne chantant : « Je suis un bon citoyen haïtien!» Comme Bernard Dadié, j’entends ce fol admirateur de la bonne poésie, de son élocution bègue, psalmodiant : « Je vous remercie Dieu de m’avoir créé Noir ! …Le Noir, c’est la couleur de tous les jours ! »

Guy Durosier est sans conteste une gloire nationale. Pour l’honorer, il me paraît nécessaire d’emprunter ces vers que le poète jérémien Edmond Laforest avait consacrés à Beethoven : « Toi…, artiste à la voix souveraine, ton génie est semblable aux riches cathédrales, plus puissant que le roc et plus fier que le chêne… »

Ce qui est sûr, c’est que, jusqu’à la consommation des siècles, lorsque seront mentionnés les artistes ayant rehaussé la culture haïtienne, le merveilleux nom de Guy Durosier sera placé au haut de la liste. Il avait toujours voulu vivre, méringuer et valser parmi les étoiles. Pari réussi ! En cet endroit enchanteur et magique, il s’est servi de l’esprit d’Occide Jeanty, de l’âme de Werner Anton Jaegerhuber, de la plume de Ludovic Lamothe, de l’encrier de Justin Elie, de la dévotion d’Augustin Bruno et de la grâce de Lina Mathon Blanchet pour écrire l’une des plus belles pages de la musique haïtienne. Pour ce, Guy Durosier demeurera un artiste immortel!

Louis Carl Saint Jean

louiscarlsj@yahoo.com

16 juillet 2019

REMERCIEMENTS:

Sans les personnes suivantes, il m’aurait été impossible de rédiger cette centaine de pages sur Guy Durosier. Et je veux les remercier du plus profond de mon cœur. Il s’agit de: Léopold Joseph, directeur d’Haiti Observateur, Dr Marcelo Mitchelson, William Pierre, Félix Guignard, Edner Guignard, Raoul Guillaume, Dr Philippe Guillaume, Djénane Durosier, Didier Pétrus, Marc Lamarre, Michel Pressoir, Jean Neff, Léopold Molière, Raymond Marcel, Paul Choisil, Fritz Frédéric Joassin, Julio Racine, Joseph Charles, Jr, dit Joe Charles, Yves Arsène Appolon, Jean-Claude Eugène, Yves André, Chris Bazile, etc.

(Dans l’au-delà: Denise Pétrus, Herby Widmaier, Joe Trouillot, Jacques Borges.)

Je remercie également tous ceux qui m’ont envoyé des mots d’encouragement après chacune de mes humbles publications. Je pense, en particulier, à Alain Lebon, Guy Frantz « Gifrants » Toussaint, Pachoso Nelson, Louis Mercier, Guesly « Ti Gousse » Morisseau, Leslie Eyma, Suze Baron, Joe Charles, Dr Gaston Valcin, Josette Séraphin, Darwin Clermont, Réginald Martin, Fritz Frédéric Joassin, Ronald Jean-Baptiste, Jacques Patrick Glaure, Tido Déjean, etc.

Louis Carl Saint Jean

11 octobre 2020

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 1ere Partie

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 2e Partie (1944 – 1949)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 3e partie (1950 - 1953)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 4e partie (1954 - 1956 )

https://m.facebook.com/groups/767941593328285?view=permalink&id=3292130400909379


GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 5e partie (1957 - 1963)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 6e partie (1964 – Mai 1969)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 7e partie (1969 à 1975)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 8e partie (1972 - 1979) https://www.facebook.com/groups/HaitiLegends/permalink/3346684715453947/


GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 9e partie (1980 - 1998)

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GUY DUROSIER :

L’ITINÉRAIRE D’UN ARTISTE IMMORTEL

📰 10e et dernière partie

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Lumane Casimir

 


«Une artiste à l'expression plus authentiquement haïtienne, membre du Trio Astoria que dirigeait Jacques Nelson, commence à éveiller l'intérêt. Chez Mme Ludovic Boucard, rue Lafleur Ducheine, elle vient parfois chanter et pincer la guitare pour le plaisir de la maîtresse de céans et les passants, intrigués par son timbre éclatant, se groupent devant la maison pour l'entendre... C'est l'aurore d'une célébrité qui bientôt conférera à la chanteuse Lumane Casimir, première Haïtienne guitariste, le titre enviable de première vedette du chant en Haïti. Aux festivités qui marquent l'inauguration de la nouvelle ville frontalière de Belladère en 1948, la chanteuse émeut son auditoire par sa voix bouleversante. Le succès, durant l'Exposition, des chansons folkloriques Panama m tonbe, Papa Gede bèl gason, et Caroline Acaau, harmonisées et orchestrées par Antalcidas Murat du Jazz des Jeunes, et que le chanteur porto-ricain Daniel Santos divulguera aux quatre coins du continent, lui apportent la consécration»(1).

Les rapports sur sa vie confinent si souvent à la légende et si peu bavardes nous paraissent, par ailleurs, les traces de son existence authentique que, n'eût été le crédit implicite accordé à certaines formes de témoignage, on serait en droit de ne voir en Lumane qu'un pieux et pur produit d'un mirage collectif. Très peu de choses en effet demeurent aujourd'hui d'elle, en dehors de ce qu'elle était une «paysanne à la voix d'or» dont les chansons resteront «dans les mémoires comme les airs les plus évocateurs des heures d'enchantement de l'Exposition du Bicentenaire» (2). Et malgré notre rencontre de certaines personnes l'ayant un peu connue, et plus souvent vue sur scène, esquisser un parcours linéaire de Lumane ne peut tenir que d'une réelle gageure qu'après maintes infructueuses tentatives nous renonçons humblement à relever.



Sa guitare sous les bras, elle serait vue à Port-au-Prince autour de ses 14 ans, fraîchement débarquée des Gonaïves. Menant l'existence typique des artistes fauchés, c'est au Champ de Mars, à l'un de ces attroupements que ne manquaient pas de provoquer ses concerts de rue improvisés, qu'elle se serait fait repérer par le peintre Alix Roy qui s'empresse de l'introduire auprès de sa tante Lina Mathon Blanchet. Le diagnostic du maître est immédiat : son talent est incontestable et il ne faut pas plus pour que Lumane soit aussitôt comptée de la Troupe de Lina. «Officieusement», nous confie l'une de nos sources car, si par ailleurs Lumane tient sans conteste la scène avec le fameux Jazz des Jeunes, Lina, jouant sans nul doute de cet art, si utile aux succès d'époque et si particulier à elle, de rendre étonnament fructueux le côtoiement de mondes de nature diverse et à priori antagoniques, la produira dans ses concerts surtout en intermède, accompagnée de l'indomptable et imprésivible Ti Roro. Car enfin qui est-elle? De balbutiements et de souvenirs diffus, il ressort à peu près ceci : apparemment de souche floue et modeste donc par conséquent peu intéressante pour un certain milieu, la perception d'elle oscille entre celle d'une fille de rue et celle, pas plus recommandable, d'une fille à vie affective et sentimentale instable — on rapporte, incidemment, qu'autour de 1949, elle aurait épousé un nommé Jean-Bart mais d'un élan et de noces somme toute de durée brève. On a la certitude qu'elle écrivait elle-même nombre de ses chansons, qu'elle était toujours à court d'argent et qu'elle n'arrêtait jamais de boire... On se rappelle tout particulièrement son maintien et son air un peu revêches, la vivacité de ses propos envers qui s'aventurait à l'aborder à rebrousse-poil, tout cela rehaussé de l'excentricité de chaussures de tennis à homme blanches et de ce large chapeau fleuri dont sur scène, et même dans les représentations de la troupe à l'étranger, elle ne consentait que difficilement, pour ne pas dire jamais, à se déprendre.


Si l'on s'en tient à l'année 1953, avancée comme année de sa mort, le passage de Lumane dans la chanson haïtienne semble, tout compte fait, n'avoir été que de très courte durée. On veut qu'elle ait connu vers la fin de sa vie l'abandon et la plus grande misère et qu'elle soit morte tuberculeuse, dans une cahute à «Fò Senklè». D'autres voix insistent que Lina — ou une autre main secourable — l'aurait assistée dans ses derniers moments et qu'elle serait morte à l'hôpital. Une dernière version, celle-là tout aussi plausible, soutient qu'elle serait morte très jeune — environ 35 ans — d'usage abusif d'alcool et de la vie peu rangée et définitivement épuisante qu'elle menait.

La vie de Lumane, tout comme sa mort, a été celle des grands, d'une densité imprenable. D'elle demeurent le plus important, ces chansons si merveilleusement tenaces, des bribes que visiblement nous n'avons pas encore pris le temps de recoller et porté par la voix d'épigone d'une Carole Démesmin à son sommet, cet hommage de l'écrivain-conteur Koralen :

Si Lakansyèl te gen vwa
Si lakansyèl te ka chante
Se tankou Limàn li ta chante
Kote Limàn pran lavwa
Gen yon toubiyon ki leve
Mande pye palmis yo danse
Epòk sa a se nan tan Bisantnè
Si ou fèt avanyè
Ou pa sa konnen
Kouman ayisyen te fou pou li
Kouman yo te renmen
Limàn Kazimi.

Yon tifi, yon ti kòmè pwovens
Ki rive Pòtoprens
Vini chache lavi
Yon tifi, san fanmi san zanmi
Yon gita anba bra l
Ak yon espwa nan vwa l
Lè l kanpe, lè l kanpe pou l chante
Wosiyòl k ap pase vin poze pou tande
Se konsa anvan 1 an pase
Bèlè kou Bwavèna se de li y ap pale.
Nan yon ti kay san limyè
Ki te nan lakou Fò Senklè
Genyen yon fi ki pwatrinè
Se la yo di l remize
Gen yon sèl moun k ap okipe l
E se pa toulejou l vini
Se de twa timoun nan vwazinay
Ki konn fè ti goutay
Pou ba li manje
San konnen se yon dènye zanmi
Se yon dènye fanmi:
Limàm Cazimi

Lè l mouri, lantèman l ap chante
Tout moun li te fè byen yo youn pa prezante
Men se te yon jounen san solèy
Syèl la t ape kriye tout nyaj yo te pran dèy
Pye lorye ki gen sou plas Sentàn
Yo pliye yo panche pou yo salye Limàn
E nan van, nan van ki t ap pase
Gen moun ki fè sèman yo tande l ap chante:
Papa Gede bèl gason
Gede Nibo bèl gason
...

(1) Georges Corvington, op.cit. p321.

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI