vendredi 17 février 2023

Martha Jean-Claude !

Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de femmes qui faisaient ce métier; il y avait partout des artistes de théâtre. Tous les dimanches et jours de fête, je chantais à la chorale de la Cathédrale. Dès l'âge de 12 ans, je faisais partie de cette chorale, ayant été initiée par les sœurs de Sainte-Rose de Lima.». C'est de là que, timidement, elle se fait entendre comme choriste dans les coulisses de son amie Emérante de Pradines jusqu'au jour où le public réclamant à tue-tête le second rôle découvrira avec émerveillement l'intemporelle Martha Jean-Claude. On l'appréciera désormais seule ou aux côtés d'Emérante dans les soirées privées, les réceptions d'ambassade... quand ce n'est pas dans l'une de ses prestations au théâtre, dont dans les années 40 déjà elle semble tout aussi friande.(2)

Puis Martha Jean-Claude nous est ravie quand le 20 décembre 1952, enceinte de 3 mois, elle est emprisonnée. Critique trop osée du gouvernement, activités communistes de son mari (absent du pays lors de son arrestation), mise en échec de ce projet, trop révolutionnaire au goût de Magloire, de construction d'une maison pour démunis? Pour ne laisser d'être imprécis et quelquefois contradictoires, les chefs d'accusation ne disent pas moins clairement que sa présence est indésirable et, à sa libération provoquée par un état de santé si inquiétant «qu'elle devra etre transférée à l'hôpital», elle ne se verra d'autre recours que l'exil.

C'est alors que Cuba verra arriver, après son très court séjour au Venezuela, cette jeune femme et ses chansons en quête d'une terre d'accueil. Se voyant alors contrainte à des emplois de fortune comme linotypiste, coiffeuse, Martha ne devra pas moins attendre 1956, sa rencontre avec Celia Cruz et l'enregistrement de son premier disque Canciones de Haïti, pour se voir lancée sur la scène cubaine, amorce d'une vivante carrière internationale. Chanteuse étoile des plus grands cabarets cubains (Tropicana, Sans-Souci), figurant régulièrement à l'affiche de spectacles dans les plus grandes villes d'Amérique et un peu partout dans le monde on la verra, à l'occasion, accompagner Nat King Cole, Mendosa. Loin de se départir de cette affection particulière pour le théâtre elle interprétera avec un égal bonheur des rôles divers à l'écran et dans des séries télévisées très populaires et prisées. Son propre film, Simparele dont, en plus du scénario et de la réalisation, elle incarnera le rôle principal sera primé à Cuba, en Palestine, en Espagne et en Allemagne.

S'il est insensé de prétendre embrasser en si peu de mots plus de 50 ans d'une carrière aussi riche, on reste par contre ébahi de découvrir cet univers et ce parcours marqués d'une fidélité entêtée et résolue à Haïti dans ce qu'elle recèle de plus autochtone. En 1957, peu après la révolution cubaine, elle se trouvera aux côtés des Haïtiens à l'ICAP (Institut Cubain d'Amitiés avec les Peuples) pour des recherches autour de la culture haïtienne. Si au cours de sa longue route, seule ou avec MAKANDAL, ce groupe musical monté avec entres autres musiciens de talent ses enfants, tous retrouvés sur ses traces, une juste place a dû être faite dans ses chansons et ses mélodies à une vigueur toute cubaine, ce sera avec assez de bonheur pour que Cubains et Haïtiens se réclament et s'approprient également la «nuestra haïtiana cubana» qui elle, en retour, ne trouvera pour se partager que ces mots pleins d'amour: «Mwen se fanm 2 peyi / Soy mujer de dos islas». De cette fidélité à l'engagement qui pérennise, le pas est franchi maintenant avec la création en mai 1996 de la «Fondation Culturelle Martha Jean-Claude» qui se propose, sous la direction du fils de Martha, Richard, de travailler à la promotion de la culture et du patrimoine des deux pays.

Il a fallu, sur l'invitation de la mairesse de Port-au-Prince, Mme Franck Paul, ce retour de Martha chez nous, chez elle 34 ans plus tard, en 1986, et cette tournée effrénée de février 1991 (où elle se produit au Café des Arts, au stade Sylvio Cator, au Théâtre National, au kiosque Occide Jeanty, au Club international...), pour que nous sachions à quel point elle nous a toujours été familière. De l'acceuil de ce public incrédule de la voir enfin, émerveillé de reprendre avec elle comme si ne datait que d'hier leur dernière rencontre, Dodo Titite, Kouzen, Agœ..., Martha a dû tirer la certitude de pouvoir exprimer enfin librement cette vérité de toute sa vie: celle de n'être jamais partie.

Martha Jean-Claude (21 mars 1919 - 14 novembre 2001) était une écrivaine haïtienne, militante des droits civiques , artiste et compositrice. Elle est née à Port-au-Prince , Haïti et était bien connue internationalement au cours de sa vie et pouvait se produire dans de nombreuses langues. Elle a incorporé le folklore haïtien et les paroles vaudou dans ses performances. Elle s'est prononcée contre les autorités haïtiennes qui exploitaient le peuple haïtien. Elle a été arrêtée en 1952 sous l'administration du président Paul Eugène Magloireaprès avoir publié sa pièce "Anriette". Les responsables considéraient qu'il était dirigé vers et contre le gouvernement à l'époque. Lorsqu'elle a été arrêtée, elle était enceinte mais a été relâchée deux jours avant d'accoucher.

Jean-Claude est exilé à Cuba le 20 décembre 1952. Elle est mariée à Victor Mirabal , journaliste cubain.  Jean-Claude était bien connu des communautés hispaniques qui admiraient son talent et son activisme. Elle a été présentée dans des émissions de radio et de télévision à Cuba. Elle est apparue dans le film Yambaó (1957) qui mettait en vedette l'actrice cubano-mexicaine Ninón Sevilla .  Cuba l'a revendiquée comme une grande artiste de ce pays. Elle est devenue membre de l'Union cubaine des écrivains et des artistes. Elle s'est produite dans de nombreuses salles internationales, notamment: Salle Claude Campagne, Casa de las Américas à Cuba, Palais des Beaux-Arts à Paris, Madison Square Garden à New York, Maison de l' UNESCO à Paris, Siège des Nations Unies à New York et pour la Faculté de musique de l'Université de Montréal . Elle a voyagé et visité presque tous les pays d'Amérique centrale et du Sud et l'Angola . Elle s'est également exprimée au Panama contre ceux qui violent les droits humains fondamentaux dans ce pays. Elle écrit et interprète des chansons politiques. Jean-Claude est également apparu dans le film cubain Simparele (1974) réalisé par Humberto Solás .

Jean-Claude a eu quatre enfants avec Mirabal : Linda (chanteuse d'opéra), Sandra (musicienne), Magdalena (médecin vivant à Cuba) et Richard. Son fils Richard Mirabal a été directeur de la Fondation Martha Jean-Claude, qui promeut les liens culturels entre Haïti et Cuba.  Son fils Richard a produit le film Fanm De Zil [Femme des deux îles] (2000) sur sa vie et son œuvre.  

 Jean-Claude est retourné en Haïti en 1986. Elle est décédée à La Havane , Cuba, le 14 novembre 2001, à l'âge de 82 ans, chez elle.  Elle a été décrite comme "... l'un des joyaux les plus précieux qu'Haïti ait jamais eu." 

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