lundi 28 août 2023

Première équipe féminine de Football en Haïti, 1973.


Première équipe féminine de Football en Haïti, 1973.

Nos Grenadières:

Marie Louise Gauthier, Gladys Laurent. GABRIEL  beauvais,  Rose Irene Verdier, Rosana Germain. Jacqueline Gauthier, Kettly Mondesir, Nella Joseph

Visage Mesidor,  Marie Carme Devilme,  Béatrice Cantave, Michèle Etienne   Micheline Joseph. Élsie Jolicoeur, Marie Antoinette Gauthier, Jessie Gresseau.

mardi 11 juillet 2023

Un Mapou est tombé: Pascal Albert !

"Pascal Albert né le 29 Octobre 1945.

    Un Géant de la musique haïtienne est tombé, âgé seulement de 77 ans, sans aucun signe de maladie; marié depuis plus de 50 ans avec la belle et gracieuse fille Jessie Sibilia, laquelle lui a donné deux fantastiques enfants “Clifford et Ayesha“.

    Subitement Pascal Albert est passé à l’Orient Éternel, à 5:30 am, ce samedi 8 juillet 2023. 

   Hélas, que sommes nous devant la Mort?   Le plus grand phénomène de la vie! 

Pourquoi nous ne pouvons pas nous y habituer avec ce drame dévastateur? 

Chaque fois que la Mort se présente, elle traîne toujours avec elle “Tristesse et Détresse!”                    

Pourtant Pascal, durant son court passage sur cette terre n’a jamais cessé de semer la joie et la gaieté au monde et plus spécialement au cœur de tous les haïtiens sans distinction à travers ses chansons.                    

En tant que membre de la famille, je présente mes sincères condoléances à sa femme Mme Jessie Sibilia Albert, ses enfants Cliff et Ayesha son beau-frère Mr John Sibilia, ses belles sœurs Nicole, Josee et Suzye ma femme et à toute la famille Albert en général.

 Pascal, l’heure a sonné pour regagner ta vraie et dernière demeure, nous prions le grand Jehovah, dans sa grande compassion de t’accorder une seconde de joie dans son royaume…

Bon voyage mon frère (peace and love!!!)."    


 Crédit: JMN


Maintenant,  je vous invite à écourter mon ami-frère, la légende de la musique haïtienne qui vient de nous laisser: Pascal Albert,✝️🙏 dans ses œuvres, avec le groupe mythique "DP Express"...

Grâce👇

DP Express + Pascal Albert - Grace

lundi 22 mai 2023

Qui était Nemours Jean-Baptiste?

Nemours Jean-Baptiste naquît le samedi 2 février 1918 à Port-au-Prince et drôle de coincidence, décéda le samedi 18 mai 1985 à Port-au-Prince. Qui était-il vraiment?

Musicien créatif, chef d’orchestre, compositeur. C’est aussi l’inventeur patenté du « Konpa dirèk », le rythme urbain, contemporain le plus célèbre du terroir.

Nemours est sans doute la figure la plus emblématique, la plus adulée et, aussi la plus controversée de la musique haïtienne moderne. Et pourtant, comme tous les grands de toutes les époques et de partout; il n’avait qu’une idée, faire de la musique. Et même s’il s’est révélé parmi les plus doués de sa génération, il sera ainsi dans la foulée d’une pléiade d’innovateurs. Il est aussi le baroudeur chargé de déblayer le terrain pour se placer impérialement à l’avant-garde d’une époque sans précédent, d’où il a su mettre en oeuvre son génie pour gratifier du « konpa dirèk », le plus dansé des rythmes urbains du terroir.

Ainsi différemment des: Chuck Berry, Little Richard etc.., ces initiateurs du rock & roll qui se sont fait approprier de leur invention, Nemours lui-même assuma la responsabilité de sa progéniture dès les premiers balbutiements. Même si son impact fut aussi minimisé par ses compétiteurs de l’époque, jaloux sûrement qu’il leur ait volé la vedette; cherchant même à confondre astucieusement le public sur la vraie origine du « compas-driver ». Durant la deuxième décennie du 20e siècle, un nouveau roi naquit à la rue des Fronts Forts. Quartier d’anciens combattants, chevaliers sans peur, sambas et simbies, conquérants et aspirants. Et d’un pionnier de souche, en effet l’ombre de Mr François Guignard, maître musicien, domine le voisinage du petit Nemours. Car entre ses multiples responsabilités familiales, « Père Guignard » s’attale aussi à la revalorisation de la musique de climat, avec son groupe bastringue. C’est encore un instructeur scrupuleux, musicien polyvalent et un initiateur d’envergure qui fabrique un petit banjo, qu’un seul gosse de la cour a eu l’audace de jouer. C’est Nemours, proche ami de son fils aîné Félix « Féfé » Guignard.


Son père cordonnier travaille pour l’éduquer en compagnie de son frère Monfort et de sa soeur Altagrace. Entre temps, l’adolescent Nemours s’applique aux études et pratique occasionnellement le métier de coiffeur. Tout en continuant avec « Féfé » un duo de trouvères, doté de banjo et d’accordéon qui s’en va sérénader différends recoins du pays. Il continue à traîner dans l’entourage du “Jazz Guignard” attendant son heure, où il côtoie copieusement le guitariste Antoine Duverger, le saxophoniste Victor Flambert et des proches comme Antoine St Armant et Chadavoine. Ses randonnées buissonnières l’emmènent aussi aux Cayes dans un bref « stint » avec le groupe de Barrateau Destinoble pour lequel il gratte les cordes. Il en profite sous le contrôle de ce dernier de continuer à familiariser avec le sax. Sa première initiative personnelle fut le “Trio Anacaona” avec lequel il prouve sa capacité de « strings man » (homme des cordes »). Mais déjà, il est plus intéressé à se montrer en souffleur, avec la possibilité de se mettre en vedette et d’être mieux rémunéré. L’occasion se présenta lorsqu’il est appelé à rallier l’ “Orchestre Atomique” avec son meneur le claviériste Robert Camille et son chanteur-vedette Joe « Atomik » Lavaud.

Malgré tout, il finit par s’imposer en maestro et, pour n’en vouloir faire qu’a sa tête, il est éjecté du groupe par un noyau constitué de son frère, le contrebassiste Monfort, sous la menée du trompettiste Kesnel Hall. Cette affaire tourna au chaud, lorsque,sous la demande d’un tribunal, le maestro novice rendit le sax alto qu’il avait confisqué. Amer, il s’en va former l’“Atomique Junior”. D’un coup, pistonné par Issa El Saieh, il atterrit dans l’“Orchestre Citadelle” dont il finit par abdiquer le contrôle. Inassouvi, il recrute Gérard Dupervil (voix et piston), son jeune protégé Wébert Sicot (sax, trombone) et entre autres, le superlatif Antalcidas Murat dans son fameux “Conjunto Internacional“, dans l’exploration des couleurs afrolationes.


Mais on est en plein coeur de l’épopée indigéniste et le groupe éclata après le désistement collectif dont fut responsable son grand ami Antalcidas Oréus Murat. Dès cet instant, il promit de faire des vagues à Antal et aussi à Saint Aude qui le lui a chipé pour le compte du “Jazz des Jeunes“. A l’étape subséquente, il s’associe à Jean Numarque, propriétaire de boite de nuits et homme-orchestre à ses heures, qui lui offre un cadre attrayant à Kenscoff, pour expérimenter de nouvelles approches. A ce carrefour, il se sert de Frank Briol, Julien Paul, Louis Lahens, Walter Thadal, les Frères Mozart et Kretzer Duroseau etc. Mais le succès ne se fait pas attendre et Nurmarque inaugure un nouveau night club à Mariani baptisé « Aux calebasses » avec son plafond au décor bucolique, fait de « calebasses » multicolorées, qui devint le fief du chef d’orchestre autodidacte, et d’un maestro désormais conquérant. Il y installe son “ Ensemble aux calebasses” déjà à l’entame de quelques flots.

Ce fut donc la conquête du  » danse kare » une variante de l’ancien carabinier, (cher au fondateur de la patrie), mué en méringue, à laquelle Nemours apporta d’autres innovations que les fans appelèrent tout simplement “rythme aux calebasses“. Mais qui ne fut rien d’autre que les premiers balbutiements du konpa dirèk. Nouveau rythme trépidant qui alla déboucher sur une symbiose du tempo ternaire de souche autochtone. Une meringue syncopée à subdivision binaire, d’orientation simplifiée, dite “une-deux“, sans aucune autre interférence d’une troisième mesure. La désignation de ce vocable pour identifier ce rythme fut pour la première fois utilisé par le trompettiste René Diogène venait consulter, concernant une partition difficile à appréhender. C’est alors que Nemours qui était présent, se vanta de sa nouvelle formule qui n’avait rien de compliqué, avec son utilisation du tambour, comme vecteur moteur. Diogène répliqua: toi tu n’a pas à t’en faire, tu ne joues que du « compas ». Ce que le maestro allait lui-même apprécier, en adoptant ce nom sur le champ. Autre innovation de Nemours: l’introduction du « Gong ». A la manière de la Grosse Caisse de musique bastringue par voie martiale. Il servait au découpage du tempo, le modifiant chaque fois qu’il tombait dans l’ornière. Tandis que le tambour exprimait la conception rythmique. L’identification tonale du 5/3, sans coda.

Nemours fut aussi le premier à intégrer les instruments amplifiés, dont la basse et guitare électriques, jamais encore utilisées dans le music hall local. Au lieu de célébrer ses innovations, ses concurrents le taxèrent d’imposteur. Mais, continuant allègrement son chemin, le maestro n’en démordit point, il était convaincu d’avoir trouvé les formules d’un public qui lui sut gré d’avoir livré la marchandise au moment opportun. En effet, dès 1955, le konpa était lancé à la conquête de toutes les couches sociales du pays. Entre-temps c’est la rupture avec Jean Numarque, et le maestro introduit pour la première fois son ensemble le 29 juillet 1955, sur la place Ste Anne. Flanqué de Kretzer, Mozart, Richard Duroseau Thadal, Tallès, Briol, R. Gaspard, Domingue, Napoléon, D. Boston, Lahens, P. Blain etc… Cependant, comme tout nouveau conquérant, il était sans cesse en butte aux assauts des compétiteurs. D’abord le “Jazz des Jeunes” qu’il avait lui même antagonisé parce que la bande à Saint Aude était d’un niveau supérieur, comme le ghota de la polyrythmie locale. Dans un répertoire constitué de: raboday, mayi yanvalou, pétro, banda, meringue, congo, boléro. Ainsi que dans des excursions exotiques. Puis de Wébert Sicot qui l’attaqua en premier, en voulant profiter lui même du momentum qui allait faire du konpa dirèk la vague dominante.

Contrairement à ce qu’avanceront les puristes, l’émergence du konpa fut une percée positive à une époque où la scène musicale haïtienne regorgeait de talents. Une abondance de grands musiciens et de groupes, tel le “Jazz des Jeunes“, explorait les richesses des rythmes ancestraux. Ainsi que d’autres groupes d’envergure comme: Le Riviera, El Rancho, Citadelle, El Saieh etc., qui rayonnaient d’excellence. Le konpa de Nemours vint freiner la vogue des musiques cubaines et dominicaines, toutes équipés de leur armada moderne qu’on dansait sans coup férir dans les salons. Car à l’époque, les groupes locaux n’enregistraient presque pas, alors que s’écoulaient sur le marché local, les vinyls, 78 et 33 tours des groupes latins divers tels: “La Sonora Matancera, Perez Prado, Celia Cruz le “Tipico Cibeano” de Angel Viloria avec son fandango; qui résonnaient des phonographes ou « pick ups » dominateurs des bals privés. Rejetant toute imitation servile, Nemours est allé au delà du folklorisme, avec une inclinaison marquée pour le show-business.

Une approche similaire à celle qui se dessinait à la même époque aux Etats-Unis où le rock & roll faisait ombrage aux tendances: jazz, soul, be-bop, blues etc. Ainsi, Nemours, musicien et compositeur de flair, multi-instrumentiste et showman, a vite compris tout cela, et bien mieux que personne. Il endigua le flot de paramètres d’outre-mer et, relégua à l’arrière-scène les meilleurs musiciens du moment. Comme saxophoniste, même s’il n’est pas de la catégorie des virtuoses, il se permettait quand même de longs solos, avec son sax ténor. Son jeu basé sur la justesse et la fluidité du tempo avec, de surcroît, les accommodements essentiels d’un apport mélodique et rythmique firent de lui un maestro et arrangeur complet.

Trainant allègrement, même à l’extérieur, il fit du konpa un rythme à part entière, au même titre que les multiples rythmes d’Haïti. Après avoir régné durant un lustre avec son orchestre, Nemours devait faire face dès la fin des années 1960, à la montée des mini-jazz, qui éventuellement lui ravirent son public jeunot. Ayant eu administré ce revers au “Jazz des Jeunes“, il savait plus que personne ce que c’était que d’être talonné par une nouvelle génération. IL l’avait d’ailleurs déclaré à Wagner Lalanne: « l’essentiel, c’est de savoir se retirer à temps ». Plutôt que de se faire emporter par la vague mini, il décida de s’expatrier à New York en 1969. Aux « States », il trouva une communauté en gestation, où Raymond et Wébert Sicot, Raoul Guillaume (en exil) les Duroseau: Mozart et Richard etc., avaient déjà fait leur nid. Il forma un combo qui fit les délices de ses anciens admirateurs immigrés et exilés. Notamment, au club « Casa Boriquen » de Brooklyn et « Casa Caribe » à Manhattan.

Il revint immédiatement au pays, usé, livré à lui-même, la vue endommagée. Il essaya tant bien que mal de reconstituer un groupe sous le nom de « Super combo », et se payait même le luxe d’un ultime succès avec le Marceau “Gason nou nan ka“. Mais ce ne fut pas le même enthousiasme chez les adeptes, et les sérieux problèmes économiques dûs à l’absence d’un système de retraite ou d’assurance, n’étaient pas pour arranger les choses. Quelques compatriotes essayèrent d’établir une souscription à son nom, dans le but de l’aider à couvrir les frais d’une intervention chirurgicale à l’étranger. Son ami et compétiteur des jours de gloire, Wébert Sicot, avec lequel il produisit un dernier album: « Union », l’accompagna dans cette dernière tentative de restaurer sa vision. Il finit néanmoins par sombrer dans la cécité. Ce monument de la musique haïtienne connut une fin marquée par les privations. La commercialisation de ses innombrables oeuvres aurait dû lui assurer une retraite paisible dénuée de tout souci matériel.


Hélas, ce compositeur prolifique a été littéralement pillé: groupe et artistes dominicains et porto-ricains ont interprété ses compositions, et la plupart n’ont même pas eu la décence de les lui accréditer. En léguant le konpa dirèk, Nemours traça un chemin qui l’a amené dans la légende de la musique nationale par la grande porte. A l’instar d’un Occilus Jeanty, le père de l’écriture orchestrale haïtienne, d’un A. Bruno, d’un J. Elie, ou encore d’un F. Guignard, d’un Saieh, d’un AntalCidas etc, il a été à la source de l’authenticité, de l’originalité et de la renaissance des rythmes natifs. Parmi tous ces géants qui ont montré la voie, Nemours fut l’un des plus déterminants.

Il apporta à la musique haitienne tant de décontraction, d’intelligence et de facilité que du moment où il apparut avec sa « marque déposée », il a été le plus calqué, le plus suivi de son époque. Pour avoir inventé la grandeur, le style et une identification musicale ambiante du terroir, il demeure un innovateur hors-pair, l’architecte du rythme urbain le plus populaire d’Haïti.


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dimanche 26 février 2023

Jean-Robert Antoine : Le journaliste par qui le drame arriva.

Jean-Robert Antoine faisait partie de l’équipe de la salle des nouvelles de RGR Progrès, la station de radio dirigée par le défunt Gérard Résil.

« Accroché à la cime du lyrisme, je viens de terminer mon poème sur la panoplie des assassins, afin de calmer le spasme qui fait greloter mon corps d’ébène. J’ai rêvé d’être écrivain pour écrire en lettres majuscules les satires de mon pays avec l’épée de Damoclès qui a creusé sa fosse. Je ne joue plus sur ma guitare des airs de mardi-gras, depuis qu’«Octavius » a vendu les secrets de la bande de « Nan Palmiste » pour devenir fossoyeur. Nous avons changé de vocation. Avant de me coucher hier soir, j’ai vidé le liquide rouge de mon encrier dans la matrice d’une prostituée de Fort St-Clair. L’enfant de la promesse naîtra demain…! Cette « danse de Martinique » sauvage a trop duré dans mon village. »

Robert Lodimus 

(Méditions 3, Vers l’aube de la libération, 1980)

La nouvelle du décès de Jean-Robert Antoine survenu le mardi 28 avril 2020 a réveillé des souvenirs qui restaient endormis dans un coin de notre subconscient. L’ancien collègue qui faisait partie, comme nous, de l’équipe de la salle des nouvelles de RGR Progrès, la station de radio dirigée par le défunt Gérard Résil, homme de théâtre, professeur de phonétique et de diction au Conservatoire national d’art dramatique, a été foudroyé par le coronavirus qui terrorise le pays de Donald Trump. Notre camarade et ami Gérard Pricorne Janvier, qui vit lui-même à Chicago, nous a informés mercredi soir de cette tragique disparition. L’État de New York compte 20 millions d’habitants. Il est identifié comme l’épicentre de la pandémie aux États-Unis, avec un nombre de décès quotidiens qui bat tristement tous les records. Pour la seule journée du 9 avril 2020, 799 personnes ont été emportées par la maladie. Les autorités sanitaires observent aujourd’hui un ralentissement des cas de décès et de contamination.

JEAN-ROBERT ANTOINE AVAIT UN TIMBRE DE VOIX QUI VOYAGEAIT BIEN SUR LES ONDES. MAIS AUSSI UNE DICTION QUELQUE PEU FORCÉE.

Peut-être que le nom de Jean-Robert Antoine ne vous dit pas grand-chose! Ceux qui ont quitté le pays avant l’année 1977 auront effectivement du mal à se situer par rapport au personnage. Il en est de même pour les individus qui sont arrivés au monde après le départ pour la France du dictateur Jean-Claude Duvalier. Nous parlons de la période du déchouquage des macoutes qui ont ensanglanté le pays de 1957 à 1986, de l’égorgement des nazis de madame Max Adolphe ou Rosalie Bosquet, la sorcière de la Caraïbe, de l’exécution des bourreaux qui ont assassiné des milliers de compatriotes dans les prisons des casernes Dessalines et de Fort-Dimanche, pour assouvir la mégalomanie du grand-père vampire et du père abruti de François Nicolas Duvalier. Ce personnage arrogant, insouciant et audacieux,  – que cela soit dit en passant –, ne devait-il pas savoir qu’il serait extrêmement difficile, – même soutenu, appuyé, financé par les États-Unis, le Canada et la France –, que le nom « Duvalier » revienne troubler, hanter le sommeil et la paix de nos aïeux. Le pays d’Hector Riobé, d’Anne-Marie Bajeux, de Juanita Clermont, d’Adrien Sansaricq, d’Hélène Cirius, de Marcel Numa, de Louis Drouin, de Rosette Bastien, de Gasner Raymond, d’Ézéchiel Abellard, ne permettrait pas à la démence politique d’écrire encore une tranche de l’histoire d’Haïti avec des baïonnettes trempées dans le sang de notre peuple. Il y aurait eu des compatriotes, – et nous serions prêts à le jurer –, qui se seraient battus jusqu’au bout pour empêcher que l’horreur de 1957 ne se soit répétée sur le territoire de la République. Les prochaines joutes électorales, nous l’espérons bien, ouvriront de préférence les portes de l’État à des femmes et à des hommes politiques courageux, progressistes, capables d’installer Haïti dans le train de  grande « Révolution » mondiale que nous prônons dans nos réflexions sociales, nos analyses politiques et nos considérations économiques. C’est une « utopie démentielle » pour les rebuts de la dynastie duvaliérienne de penser parvenir à enjamber facilement le passé ensanglanté et de pouvoir se remettre en selle de la gouverne politique, sans que « la Nation leur demande des comptes ».

Durant 29 ans, cette famille de vautours n’a-t-elle pas pillé les caisses de l’État, emprisonné et torturé des compatriotes, mutilé des militants des droits humains, enlevé la vie à des citoyens opposés à la présidence de François et de Jean-Claude, qui s’apparentait à la monarchie sanguinaire d’Henri VIII ? Le roi des macoutes mourut le 21 avril 1971…! Et c’était encore, malheureusement, « Vive le roi des macoutes! » Avec l’intronisation du « prince », les masses populaires haïtiennes étaient replongées de plus belle dans le fleuve du « ridiculisme » politique. Nicolas François Duvalier, – qui semble même oublier le nom de l’établissement dans lequel il aurait effectué ses études secondaires –, serait-il à ce point amnésique?

Revenons à cette journée de l’année 1978! Le soleil glissait tranquillement vers l’ouest, dans un ciel clair et transparent. Jacques Stephen Alexis aurait lui-même écrit : « Un ciel bleu, sans une taie, sans une ride, sans une fissure… » L’intensité de la chaleur s’inclinait graduellement, afin de permettre au paysage couvert de sueur de se rafraîchir avec l’arrivée de l’Angélus. La rue Capois où se dressait la grande bâtisse qui logeait le lycée des jeunes filles fourmillait de passants bruyants. Comme des colonies de fourmis, les troupeaux humains circulaient dans les deux sens. De l’intérieur de l’établissement secondaire, on captait les voix joyeuses des fillettes et des garçonnets, accompagnés du père ou de la mère. Les enfants avaient sans doute hâte de retrouver leur logis après une journée harassante de classe. Nous étions encore au pays, – écrasé certes sous le poids pesant d’une dictature féroce –, où le chemin de l’école restait le plus long, mais le plus sûr des moyens pour les adultes de demain qui voudront gravir les strates de la mobilisation sociale. À cette époque, pas si lointaine, les parents misaient encore sur la réussite scolaire, la formation universitaire et professionnelle pour diriger leurs progénitures vers un avenir prometteur.

Le Conservatoire national d’art dramatique était logé à l’enseigne du lycée des jeunes filles de la capitale, et fonctionnait en seconde vacation. Ce soir-là, Gérard Résil exposait son premier cours pour l’ouverture de la session à une trentaine d’étudiants rassemblés dans une salle raisonnablement espacée. Nous interrompîmes le locuteur pour obtenir un éclaircissement des concepts de « phonétique » et de « phonologie ». Après une réponse éloquente et explicite, le professeur nous demanda de le rencontrer après le cours. Quelques jours plus tard, nous nous fûmes retrouvé à Radio Progrès, comme reporter et coprésentateur du journal du matin, en compagnie de Jean-Robert Antoine, Albert Semervil, Kettly Pamphile, Chérubin Dorcil, Gérard Pricorne Janvier, et tous les autres.

Jean-Robert Antoine avait un timbre de voix qui voyageait bien sur les ondes. Mais aussi une diction quelque peu forcée. Exagérée. Surtout lorsqu’il prononçait les « r ». Lui et moi rédigions et lisions de temps en temps des textes éditoriaux qui étaient diffusés aux émissions de nouvelles quotidiennes. Et parfois même repris dans l’un des bulletins horaires présentés par Lesly Tiffaut. Parmi les « médias martyrs », qui, au cours des années 1977-1980, s’affichaient ouvertement contre l’obscurantisme politique, on retrouvait Radio Progrès. Quoiqu’elle fût dirigée par un personnage douteux, sans conviction idéologique, elle était quand même le premier médium parlé à subir les agressions cruelles du gouvernement de Jean-Claude Duvalier.  La salle de rédaction au complet était fichée par le redoutable colonel Jean Valmé, – décédé en Haïti le 4 février 2016 –, à cause du discours antiduvaliériste qu’elle vulgarisait, qu’elle propageait.

Événements, causes et conséquences

Le 28 août 1979, Sylvio Claude, le président du mouvement politique dénommé « Parti démocrate chrétien haïtien (PDCH) » pénétra hâtivement dans les locaux de Radio Progrès situés à l’entrée Sud de la capitale. L’homme visiblement traumatisé, était sous le coup de la colère et de l’émotion. Libéré de prison depuis peu, des inconnus armés, qu’il associait à un escadron de la mort attaché au palais national, auraient tenté de l’assassiner dans sa résidence. « Ils ont failli me tuer. C’est par miracle que je suis encore en vie », répétait-il dans un état d’ébranlement psychologique. Il sollicita une entrevue en direct que Jean-Robert Antoine s’empressait de lui accorder. Les échanges entre le « journaliste inexpérimenté » et le « politicien irrationnel », profondément secoué, déstabilisé, s’enflammèrent dans l’espace exigu du studio. Sylvio Claude était devenu complètement hystérique. Le ton montait. Il fustigeait sans réserve la dictature. Dénonçait l’irresponsabilité, le cynisme, l’immobilisme des tenants du pouvoir.  « Dans les marchés publics de Port-au-Prince, les gens n’arrêtent pas de m’acclamer », affirmait-il. « Lorsqu’ils me voient arriver, ils se mettent tous à crier : « Vive Sylvio Claude! À bas Jean-Claude Duvalier ! » Kettly Pamphile et moi reprîmes l’entrevue le lendemain, dans le journal du matin. Au moment de la diffusion, le téléphone sonna. Le technicien affecté à la console de la régie de mise en ondes nous apprit que l’inconnu avait raccroché, sans prononcer un mot. Le même jour, dans l’après-midi, les SD de Jean Valmé passèrent les archives de la radio au peigne fin et emportèrent de force des documents sonores, notamment ceux qui avaient servi à la préparation des éditions de nouvelles de la matinée et du midi.

Le vendredi 31 août 1979, les gendarmes envahirent Radio Progrès. Ils menottèrent, ligotèrent avec des cordes le directeur général, les journalistes, les animateurs, les techniciens, les opérateurs, et même les visiteurs. Ils les firent monter dans les fourgons cellulaires et démarrèrent en direction des casernes. Une foule de curieux se formait pour observer la scène. Les personnes appréhendées, qui ne travaillaient pas à la radio, furent libérées sur le champ, après une séance d’interrogatoire serré, conduite par le commandant en personne. Tandis que Gérard Résil et ses employés étaient dirigés vers les cellules ombreuses où ils furent restés enfermés durant trois jours. La population apeurée et « zombifiée » n’avait pas réagi à cet acte indécent de barbarie politique. Plus tard, nous avions appris qu’il y aurait eu des mouchards dans le rang des salariés. Jean-Robert Antoine figurait parmi les collègues arrêtés et incarcérés. Les soldats étaient allés le cueillir chez sa fiancée qui habitait en face de son travail ? Deux rédacteurs du journal de Dieudonné Fardin, Le Petit Samedi Soir, Pierre Clitandre et Jean-Robert Hérard, présents sur les lieux au moment de la rafle, ne furent pas épargnés, malgré leurs cris de protestation. Après quelques jours, Le professeur Gérard Résil fut sommé par les autorités de la présidence de se présenter à la Radio gouvernementale (Radio nationale) où la canaille était forcée d’admettre et de confesser publiquement, sans hésitation, que tous les journalistes de la salle des nouvelles entretenaient l’idéologie marxiste-léniniste, et travaillaient effectivement à l’instauration du communisme en Haïti.

Ce triste événement fut-il relayé par les médias de la capitale ou du pays? Néanmoins, ce que nous savons : la peur devint contagieuse. Et elle s’installa partout. Radio Métropole, pour ne citer que celle-ci, semblait beaucoup plus préoccupée elle-même par un éventuel passage du cyclone David sur les régions de l’Ouest et du Sud d’Haïti. À l’antenne de la station fondée le 8 Mars 1970 par Herby Widmaier, l’éditorialiste et présentateur des nouvelles de 18 heures, Marcus Garcia, passait la nuit à informer la population sur les trajectoires éventuelles de l’ouragan et les dégâts matériels qui étaient déjà enregistrés à Port-au-Prince. Heureusement pour la population des bidonvilles qui habitaient dans des conditions précaires, il y eut plus de peur que de mal. Les prévisions météorologiques se révélaient inexactes.

Le lundi 3 septembre 1979, les prisonniers de Jean-Claude Duvalier et du colonel Jean Valmé furent conduits sous escorte au Parquet du tribunal civil de Port-au-Prince, pour être interrogés, cuisinés par le commissaire du gouvernement. L’affaire, fort heureusement, ne fut pas déférée devant le juge d’instruction. Il n’y avait pas de preuves suffisantes qui auraient permis de dénoncer, de prétexter un complot contre la sûreté interne de l’État : pour reprendre l’expression à la mode, en ces temps où les chiens de Titanyen se régalaient chaque nuit de la chair et du sang de nos compatriotes emprisonnés et exécutés sommairement. Les magistrats du Parquet décidèrent de libérer séance tenante les prévenus fatigués, harcelés et maltraités, arguant que l’entrevue avait été réalisée en direct, et que, par conséquent, il était tout à fait impossible pour eux d’anticiper les réponses incendiaires et les déclarations irascibles de l’interviewé. Sylvio Claude était devenu hostile à Jean-Claude Duvalier à la suite des élections à la députation du 11 février 1979. Il avait déclaré sa candidature dans la circonscription de Mirebalais, en face de la reine des Volontaires de la sécurité nationale (VSN), madame Marx Adolphe. Son « effronterie » lui avait valu des mois d’incarcération et des tortures physiques et morales. Il faut aussi signaler que le gouvernement avait cédé aux pressions des ambassades étrangères accréditées à Port-au-Prince, qui exigeaient l’élargissement sans condition de tous les prisonniers politiques du vendredi 31 août 1979. Cette date, comme vous pouvez le constater, est gommée du registre des mésaventures fâcheuses de la presse locale et internationale, piétinée, écrasée sous les bottes des États impérialistes, fascistes et barbares, qui assassinent les Droits naturels et Les Libertés individuelles.

Le dictateur Jean-Claude Duvalier ne respecta pas ses promesses envers Gérard Résil, le traître et le délateur de bas étage. Le gouvernement ne lui permit pas de reprendre possession de l’entreprise radiophonique. Ce dernier, il faut le souligner, n’en fut pas le propriétaire. RGR Progrès appartenait à un puissant duvaliériste qui était connu sous le prénom vague de Lucien. Ce dernier, – à la demande du palais national –, reprit son bien, pour le mettre à la disposition d’un nouveau locataire.

JEAN-ROBERT ANTOINE ACHETA UN ESPACE SUR UNE CHAÎNE DE TÉLÉVISION COMMUNAUTAIRE ET CONÇUT UNE ÉMISSION QU’IL DÉNOMMA « HAÏTI, PREMIÈRE CLASSE. »

Jean-Claude Duvalier réussit à étouffer le scandale de cette répression inusitée dans les régions caribéennes en ouvrant, – sous certaines conditions –, les portes de la Radio et de la Télévision nationale d’Haïti à tous les anciens membres du personnel de la RGR Progrès, – y compris les messagers –, qui avaient perdu leur emploi. Albert Semervil et moi décidâmes de rester au-dessus de la mêlée. Nous poursuivîmes notre carrière journalistique dans la revue Regard, –  fondée et dirigée par Guy César –, qui était une première fois interdit de fonctionnement sur le territoire d’Haïti. La seconde équipe de rédaction était aussi composée de Sony Bastien, Marvel Dandin et son épouse Yanick, Jackson Pierre-Paul, Morisson Charles, etc. Nous reviendrons, peut-être, sur l’aventure héroïque et le parcours houleux de « Regard », à l’époque du barbarisme politique jean-claudien.

Nos anciens collègues furent partagés entre la Radio et la Télévision d’État. Jean-Robert Antoine devint lui-même le concepteur et l’animateur d’une émission télévisée qui portait le nom de « Format 60 ». Limité dans ses réflexions économiques et politiques, il abordait de préférence les thèmes historiques et culturels. Car il ne faut pas oublier qu’il travaillait pour un médium consacré avant tout à la propagande gouvernementale.

Le bal étant fini le 28 novembre 1980, comme l’avait dit Jean-Marie Chanoine, le super ministre de l’Information de Jean-Claude Duvalier, nous prîmes le chemin de l’exil au Canada. Nous ne revîmes plus Jean-Robert Antoine, qui suivit notre exemple six ans plus tard, après la chute brutale du régime macoutique, le 7 février 1986. Là aussi, « le bal était fini ». Le journaliste déchu était parti à son tour, au moment où nous revenions nous-mêmes sur le sol de la patrie.

À New York, Jean-Robert Antoine tentait d’enfourcher à nouveau le cheval de sa profession. Il acheta un espace sur une chaîne de télévision communautaire et conçut une émission qu’il dénomma « Haïti, première classe. » Assisté d’une équipe réduite, au sein de laquelle on retrouvait le poète Gérard Pricorne Janvier pour la revue de presse nationale et internationale, Jean-Robert Antoine reprenait ses activités d’interviewer, de commentateur et d’analyste sur Chanel 41, à Brooklyn. Mais pour un temps vraiment court. L’initiative échoua. Les commanditaires, contrairement aux prévisions optimistes des principaux instigateurs de l’entreprise, n’offrirent pas leur soutien économique et financier à « Haïti, première classe ». Jean-Robert Antoine se recycla dans la vente des produits électroniques en magasin.

Nous avons écrit ce texte en observant certainement les lois morales de la réserve. Et puis, les circonstances s’y prêteraient mal. La mort de Jean-Robert Antoine nous aura permis, avant tout, d’effectuer avec vous une analepse, comme au cinéma, dans un monde hideux, qui soulève le dégoût et la révolte, qui évoque dans notre mémoire un passé construit sur des arpents de douleurs inextinguibles.


Crédit: Robert Lodimus

vendredi 17 février 2023

Martha Jean-Claude !

Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de femmes qui faisaient ce métier; il y avait partout des artistes de théâtre. Tous les dimanches et jours de fête, je chantais à la chorale de la Cathédrale. Dès l'âge de 12 ans, je faisais partie de cette chorale, ayant été initiée par les sœurs de Sainte-Rose de Lima.». C'est de là que, timidement, elle se fait entendre comme choriste dans les coulisses de son amie Emérante de Pradines jusqu'au jour où le public réclamant à tue-tête le second rôle découvrira avec émerveillement l'intemporelle Martha Jean-Claude. On l'appréciera désormais seule ou aux côtés d'Emérante dans les soirées privées, les réceptions d'ambassade... quand ce n'est pas dans l'une de ses prestations au théâtre, dont dans les années 40 déjà elle semble tout aussi friande.(2)

Puis Martha Jean-Claude nous est ravie quand le 20 décembre 1952, enceinte de 3 mois, elle est emprisonnée. Critique trop osée du gouvernement, activités communistes de son mari (absent du pays lors de son arrestation), mise en échec de ce projet, trop révolutionnaire au goût de Magloire, de construction d'une maison pour démunis? Pour ne laisser d'être imprécis et quelquefois contradictoires, les chefs d'accusation ne disent pas moins clairement que sa présence est indésirable et, à sa libération provoquée par un état de santé si inquiétant «qu'elle devra etre transférée à l'hôpital», elle ne se verra d'autre recours que l'exil.

C'est alors que Cuba verra arriver, après son très court séjour au Venezuela, cette jeune femme et ses chansons en quête d'une terre d'accueil. Se voyant alors contrainte à des emplois de fortune comme linotypiste, coiffeuse, Martha ne devra pas moins attendre 1956, sa rencontre avec Celia Cruz et l'enregistrement de son premier disque Canciones de Haïti, pour se voir lancée sur la scène cubaine, amorce d'une vivante carrière internationale. Chanteuse étoile des plus grands cabarets cubains (Tropicana, Sans-Souci), figurant régulièrement à l'affiche de spectacles dans les plus grandes villes d'Amérique et un peu partout dans le monde on la verra, à l'occasion, accompagner Nat King Cole, Mendosa. Loin de se départir de cette affection particulière pour le théâtre elle interprétera avec un égal bonheur des rôles divers à l'écran et dans des séries télévisées très populaires et prisées. Son propre film, Simparele dont, en plus du scénario et de la réalisation, elle incarnera le rôle principal sera primé à Cuba, en Palestine, en Espagne et en Allemagne.

S'il est insensé de prétendre embrasser en si peu de mots plus de 50 ans d'une carrière aussi riche, on reste par contre ébahi de découvrir cet univers et ce parcours marqués d'une fidélité entêtée et résolue à Haïti dans ce qu'elle recèle de plus autochtone. En 1957, peu après la révolution cubaine, elle se trouvera aux côtés des Haïtiens à l'ICAP (Institut Cubain d'Amitiés avec les Peuples) pour des recherches autour de la culture haïtienne. Si au cours de sa longue route, seule ou avec MAKANDAL, ce groupe musical monté avec entres autres musiciens de talent ses enfants, tous retrouvés sur ses traces, une juste place a dû être faite dans ses chansons et ses mélodies à une vigueur toute cubaine, ce sera avec assez de bonheur pour que Cubains et Haïtiens se réclament et s'approprient également la «nuestra haïtiana cubana» qui elle, en retour, ne trouvera pour se partager que ces mots pleins d'amour: «Mwen se fanm 2 peyi / Soy mujer de dos islas». De cette fidélité à l'engagement qui pérennise, le pas est franchi maintenant avec la création en mai 1996 de la «Fondation Culturelle Martha Jean-Claude» qui se propose, sous la direction du fils de Martha, Richard, de travailler à la promotion de la culture et du patrimoine des deux pays.

Il a fallu, sur l'invitation de la mairesse de Port-au-Prince, Mme Franck Paul, ce retour de Martha chez nous, chez elle 34 ans plus tard, en 1986, et cette tournée effrénée de février 1991 (où elle se produit au Café des Arts, au stade Sylvio Cator, au Théâtre National, au kiosque Occide Jeanty, au Club international...), pour que nous sachions à quel point elle nous a toujours été familière. De l'acceuil de ce public incrédule de la voir enfin, émerveillé de reprendre avec elle comme si ne datait que d'hier leur dernière rencontre, Dodo Titite, Kouzen, Agœ..., Martha a dû tirer la certitude de pouvoir exprimer enfin librement cette vérité de toute sa vie: celle de n'être jamais partie.

Martha Jean-Claude (21 mars 1919 - 14 novembre 2001) était une écrivaine haïtienne, militante des droits civiques , artiste et compositrice. Elle est née à Port-au-Prince , Haïti et était bien connue internationalement au cours de sa vie et pouvait se produire dans de nombreuses langues. Elle a incorporé le folklore haïtien et les paroles vaudou dans ses performances. Elle s'est prononcée contre les autorités haïtiennes qui exploitaient le peuple haïtien. Elle a été arrêtée en 1952 sous l'administration du président Paul Eugène Magloireaprès avoir publié sa pièce "Anriette". Les responsables considéraient qu'il était dirigé vers et contre le gouvernement à l'époque. Lorsqu'elle a été arrêtée, elle était enceinte mais a été relâchée deux jours avant d'accoucher.

Jean-Claude est exilé à Cuba le 20 décembre 1952. Elle est mariée à Victor Mirabal , journaliste cubain.  Jean-Claude était bien connu des communautés hispaniques qui admiraient son talent et son activisme. Elle a été présentée dans des émissions de radio et de télévision à Cuba. Elle est apparue dans le film Yambaó (1957) qui mettait en vedette l'actrice cubano-mexicaine Ninón Sevilla .  Cuba l'a revendiquée comme une grande artiste de ce pays. Elle est devenue membre de l'Union cubaine des écrivains et des artistes. Elle s'est produite dans de nombreuses salles internationales, notamment: Salle Claude Campagne, Casa de las Américas à Cuba, Palais des Beaux-Arts à Paris, Madison Square Garden à New York, Maison de l' UNESCO à Paris, Siège des Nations Unies à New York et pour la Faculté de musique de l'Université de Montréal . Elle a voyagé et visité presque tous les pays d'Amérique centrale et du Sud et l'Angola . Elle s'est également exprimée au Panama contre ceux qui violent les droits humains fondamentaux dans ce pays. Elle écrit et interprète des chansons politiques. Jean-Claude est également apparu dans le film cubain Simparele (1974) réalisé par Humberto Solás .

Jean-Claude a eu quatre enfants avec Mirabal : Linda (chanteuse d'opéra), Sandra (musicienne), Magdalena (médecin vivant à Cuba) et Richard. Son fils Richard Mirabal a été directeur de la Fondation Martha Jean-Claude, qui promeut les liens culturels entre Haïti et Cuba.  Son fils Richard a produit le film Fanm De Zil [Femme des deux îles] (2000) sur sa vie et son œuvre.  

 Jean-Claude est retourné en Haïti en 1986. Elle est décédée à La Havane , Cuba, le 14 novembre 2001, à l'âge de 82 ans, chez elle.  Elle a été décrite comme "... l'un des joyaux les plus précieux qu'Haïti ait jamais eu." 

Une fière chandelle à Raymond Cajuste

L’aurore peine à saluer la rosée, dans sa folle quête de la gouverner. En l’espace d’un cillement, dans nos cœurs, dans nos pensées, dans nos souvenirs les plus intimes, l’écho fugace d’une agonie poussée des montagnes de la Géorgie a provoqué une cascade de larmes de New York à la Floride pour s’arrêter sur les flancs de Port-au-Prince à Cabaret, de la Plaine du Cul-de-Sac jusqu’aux confins du pays. Cette sourde plainte est celle d’un être vénéré qui, au bout d’un pèlerinage de 75 années, nous a faussé compagnie. C’est le dernier soupir de Raymond Cajuste, une des plus belles étoiles à avoir scintillé pendant un demi-siècle dans le firmament musical d’Haïti. 

C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris la nouvelle de la mort de Raymond Cajuste. Il est vraiment difficile d'exprimer ce que ce brillant homme représentait pour la musique haïtienne. 

Au cours des « heures déraisonnables » des années 1960 – 1980, son inspiration nous avait fait vivre des moments agréables. Par son souffle envoûtant, des décennies allant de 1990 à 2010, il nous a communiqué l’idéal de nos ancêtres perdu, paraît-il, dans le rêve d’Agwèta Woyo, rêve long comme le magique fleuve Artibonite. 

Que s’est-il passé, au bout d’un certain moment, dans ce rêve que je résiste à raconter ? Voilà notre vieux tonton, à la barbe blanche et fleurie, succombé aux complications liées au diabète et à la tension artérielle. Cela s’est passé aux premières heures du 24 janvier dernier au Wellstar Paulding Hospital, à Hiram dans l’État de la Géorgie, au sud des États-Unis. Ah ! « Va où tu veux, meurs où tu dois ! » Personnellement, j’assimile cette perte à un drame. Franchement, « se dilere sa pou n-antere Raymond ». 

Raymond Cajuste a vu le jour à Port-au-Prince le 10 avril 1947. Son père, avocat et industriel, compte parmi les notables de la ville de Cabaret. Sa mère, Marguerite Alexandrine Germain, originaire de la Plaine du Cul-de-Sac, à part d’être secrétaire-dactylographe et modiste, est une talentueuse chanteuse que les préjugés de l’époque avaient tenu loin de nos salles de spectacle. 

Tout bébé, à la rue Monseigneur Guilloux, l’ouïe de Raymond se baigne dans le chant. Tous les jours, sa mère inonde la maison d’airs de chanteurs populaires français, notamment ceux de Tino Rossi, de Georges Guétary, de Lynn Renaud, d’André Claveau, de Jacqueline François, etc. Dans ses cahiers de chants, de très tôt, l’enfant découvre la magie de la poésie. D’ailleurs, il héritera de celle-ci le goût du bel esprit. « L’heureuse influence de ma mère m’a enveloppé dès mon enfance. C’est elle que j’avais toujours cherché à suivre et à imiter. Elle a été mon premier modèle », m’a-t-il souvent raconté. 

À part du Bas-peu-de-Chose (la rue Monseigneur Guilloux et l’Avenue Muller), Cabaret et ses envirions, en particulier Casale, seront les témoins privilégiés de son enfance et de son adolescence. À cette heureuse influence maternelle, se greffera celle de nos véritables artistes : les artistes anonymes de nos masses rurales, « les vrais détenteurs de la culture nationale » pour reprendre la pensée de l’ancien président Leslie François Manigat. 


En effet, le « pays en dehors » deviendra la principale source d’inspiration de Raymond Cajuste, comme c’était le cas pour le compositeur hongrois Antonin Dvořák et le compositeur gonaïvien Antalcidas Oréus Murat.

Le son des tambours des longues et douces nuits cabarétines d'autrefois venant de bandes de rara, de « bann madigra » ou de « bann maskawon » telles que « La Méprise », « Arc-en-ciel », « Kalfou », « Bolo », « Grand Gosier » et d’autres le marquera à jamais. Ses nombreuses escapades dans les « konbit » organisés dans les profondeurs de Casale, de Ganthier et d’autres contrées de la Plaine-du-Cul-de-Sac lui permettront de mieux humer les soupirs, les déceptions, mais aussi les joies de nos paysans, ceux qui, pour parler comme Jean Price Mars, « chantent et qui souffrent, qui peinent et qui rient, qui rient, qui dansent et se résignent ». En un mot : l’Haïtien !

C'est dans ce merveilleux maelström artistique, dans ce délicieux « bouillon de culture » que sera formée l'âme de Raymond Cajuste. Sa voix mélodieuse frappera plus tard les tympans et caressera l'esprit du mélomane le plus exigeant. Des morceaux tels que « Racines », « Nan Ginen », « Pèlerinage » et tant d’autres sont des preuves éloquentes de la culture d’un jeune homme rebelle qui refuse de se divorcer d’avec son âme résolument haïtienne. Puisque « joumou pa donnen kalbas », sans surprise, il deviendra un des ardents défenseurs de la paysannerie haïtienne et de nos traditions ancestrales. Jacques Stéphen Alexis, à n’en pas douter, aurait vu en lui « un enfant de l’avenir », encore mieux un « arbre musicien ». 

Il coule alors de sens que le premier orchestre à avoir attiré l’attention du jeune Raymond ait été le Jazz des Jeunes. Il le découvrira au Théâtre de Verdure vers ses 11 ou 12 ans. Musicien éduqué, il admettra toujours : « Quand on parle de musique haïtienne, on doit se rendre directement à notre folklore. En ce sens, sans conteste, le Jazz des Jeunes est l’orchestre phare de la musique haïtienne. » Si de cet ensemble mythique, il admirait la voix de Gérard Dupervil et les orchestrations d’Antalcidas Murat, ses deux idoles ont toujours été le percussionniste Daniel Mayala et le tambourineur Jean Rémy. 

Le plus naturellement du monde, dans la fraîche adolescence, il s’initiera au tambour, suivant le modèle de Jean Rémy, de Labbé, le célèbre tambourineur de la bande Orthophonic G.B (Otofonik) et d’un tambourineur de Cabaret dont il a malheureusement oublié le nom. Affranchi des clichés, à Casale, où il rend souvent visite à sa grand-mère paternelle, d’origine polonaise, il enrichit sa palette en s’alignant avec des groupes de paysans. Sans aucun complexe, il anime avec eux des « bal fandang », des « bal anba tonèl » où la danse polka, trempée dans notre tafia, enivrait les fêtards. À l’époque, il faisait la 8è au Nouveau Collège Bird, à Port-au-Prince. À lui seul, cet acte mérite un éditorial. C’est le propre d’un jeune homme libéré. Comprenne qui pourra !

À part cette institution de la rue de l’Enterrement, Raymond a fait une partie de ses études primaires au lycée Alexandre Pétion et une année à une école nationale à Cabaret (alors Duvalierville). Il a effectué sa scolarité secondaire au Centre d’Études Mario Caze, situé à la même rue de l’Enterrement (ou rue de la Révolution). Là, au cours de ses Humanités, il découvre nos poètes dont il s’en affolera. Roussan Camille et Émile Roumer resteront ses bardes de prédilection. Un peu plus tard, il découvrira Serge Morisseau et le docteur Carlo Désinor dont il deviendra le bon ami. Sachant que chez nous, la musique n’a pas toujours nourri son homme, il étudiera, comme soupape de sécurité, la comptabilité et l’agronomie tropicale.


C’est en 1966, à l’Avenue Magloire Ambroise, que Raymond Cajuste, au tambour, jouera pour la première fois dans un ensemble musical de danse urbaine. Baptisé Les Jeunes Loups, en firent partie : Frantz Raphaël (chanteur), Lesly Lubin (chanteur), René Pignac (guitare), etc. C’est alors, membre de ce septette, que Mme Lisa Armand Raphaël (1915 – 2021), la mère de son ami Frantz Raphaël, lui a suggéré d’évoluer comme chanteur à cause de sa magnifique voix. Il chantera pour la première fois devant un grand public au jardin d’enfants « Joyeux Départ », situé en face des « Meubles Charrier » à l’avenue Magloire Ambroise.

Peu après ce joyeux départ, on se délectera de sa voix à l’Avenue Fouchard au sein du groupe Les Aventuriers. Il brûle les planches des salons du Bas-peu-de-Chose avec Sergo Méry (chanteur), Ernst « Nènè » Volcy (accordéon), Gérald Astrée (guitare), Max Astrée (tambour), etc. C’est ce groupement qui, en 1968, se transformera en Shupa Shupa. Il signe, parmi d’autres succès, « Michaëlla » et « Yanick », que Gracien Désir popularisera par la suite.

Novembre 1968 sera la date charnière dans la carrière musicale de Raymond Cajuste. Encouragé par des amis de son quartier – Waney, Carrefour -, il intègre le Bossa Combo, formé cinq ou six mois auparavant. Rapidement, il se taille une excellente réputation auprès du public, travaillant en parfaite harmonie avec ses potes, en particulier avec Adrien Jeanite et Rodrigue Toussaint, « deux talents hors du commun », dira-t-il d’eux. Il offre « Vive les vacances », « Haïti que j’aime » et d’autres pièces qui allaient faire le délice des innombrables admirateurs de cette formation carrefouroise. 

Malheureusement, ce passage au sein du Bossa Combo ne sera pas un fleuve tranquille. Au cours de l’année 1973, la mort dans l’âme, il s’en sépare. Invité par son frère de baptême Jean Robert « Porky » Hérissé, il adhère aux Difficiles de Pétionville, chantant à côté d’Henri Célestin. Il a participé à l’enregistrement du disque « Jambé barriè » qui fit un véritable tabac. 

En février 1974, il se sépare de cet ensemble pour se joindre aux Gypsies de Pétionville. Il y rencontre Claude Marcelin (guitare), Toto Laraque (guitare), Jules Pagé (saxophone) et d’autres musiciens avec lesquels il évoluera pendant moins de neuf mois.

Vers la fin de la même année 1974, Raymond intègrera Les Alouchès, fondé par les frères Hervé et Gérald Bros. Il y retrouva un ami des beaux jours, Frantz Raphaël (chanteur), Jean-Jean Louis (Bass), Claudy Fremont (accordéon), Tuco Bouzi (batterie), Yves Fénélus (guitare solo et guitare accompagnement), etc. Après un peu plus de 18 mois dans le groupe de Fontamara, il jouera dans le Big One avec Denis Emile (guitare), Evens « Pim » Ignace (Guitare), Jean-Jean Louis (basse), Sergo Gourgue (tam tam) et d’autres amis. Cette aventure avait duré moins d’une année. 

Nous sommes maintenant en 1977. L’étoile regagnera son firmament préféré : Raymond Cajuste retourne au Bossa Combo. Ce sera incontestablement l’« âge d’or » tant de cette formation que de notre chanteur. L’activité créatrice de ce dernier est devenue plus fertile et plus mordante. Désormais, il est un personnage. Année après année, il composera des tubes qui allaient asseoir sa renommée : « Accolade », 1978 ; « Racines » (1979), « Musicalité » (1980), « Acte de naissance » (1981), « Mission impossible » (1982), « Johanne » (1984), etc.

En général, les dons sont incomparables et les générations, en vertu d'apports étrangers et de la réalité socio-politique, laissent transpirer de manière différente leur substantifique moelle. Selon moi - et qu'on me pardonne mon franc parler -, certains musiciens de La Belle Époque » (1946 – 1956) furent des dieux. Antalcidas Oréus Murat, Guy Durosier, Gérard Dupervil, Michel Desgrottes, Ernest « Nono » Lamy, Raoul Guillaume, les frères Guignard, Murat Pierre, Hulric Pierre-Louis, Destinoble Barrateau, Alfred Moïse et d’autres sont des sommités qu’on aurait dû panthéoniser. 

Cela dit, ont été repérés des musiciens, des chanteurs et des instrumentistes d'élite dans la génération d’après. Je ne tarirai jamais d'éloges sur les Dadou Pasquet, Adrien Jeanite, André Déjean, Boulo Valcourt, Welmyr Jean-Pierre et une poignée d’autres. Cependant, de tous, celui qui, tant comme compositeur que chanteur, a chaviré mon cœur dans les profondeurs les plus intimes de la joie et du bonheur s'appelle Raymond Cajuste. En toute objectivité, je pense que, dans les deux rôles, il a sa place, et une place de choix, dans n'importe quelle formation haïtienne, toutes générations confondues.

Comme compositeur, il fait partie des mieux doués de sa génération. Il nous a présenté des morceaux comme un plat fumant qui flattera le palais de tout mélomane, quel que soit son statut social, de l’humble cireur de bottes en passant par le simple hoqueton de bureau jusqu’au président de la République. En juin 1979, en classe de Rhéto, au Nouveau Collège Bird, Jean N. Narcisse, notre professeur de littérature française, au cours d’un exposé, avait réservé quelques minutes pour louer le talent des principaux compositeurs du Bossa Combo, en particulier Claude Desgrottes, Jean-Claude Dorsainvil et Raymond Cajuste. M. Narcisse, homme éminemment cultivé, avait surtout apprécié les morceaux « Courage », « Vanité » et « Pèlerinage ». 


À bien glaner dans ses œuvres, on découvrira chez Cajuste une tendance à honorer notre folklore et notre Alma mater. Des morceaux comme « Pèlerinage » et « Racines » ont effectivement révélé en lui un véritable disciple d’Antalcidas Murat. Quant au premier, c’est un charme, un rêve qui place le dévot catholique au pied du « Calvaire Miracle ». Pour ce qui est de la qualité tant du texte que de la mélodie, « Racines », à bien des égards, est un des joyaux de la musique haïtienne. Même son « Nan Ginen », bien que malheureusement désacralisé par le genre compas direct, prouve son attachement aux valeurs ancestrales.

Que dire du chanteur ? Doté d’une grande souplesse vocale qui le met très à l’aise dans sa peau, il rend ses morceaux avec goût, avec âme et avec profondeur. Par exemple, dans « Racines », il nous mène tout droit dans la cale d’un navire négrier. D’une diction parfaite, il nous a épargné du « zuzu » un peu gênant qui enlève à n’importe quel chanteur son originalité et sa personnalité.

Le Bossa Combo a connu d’excellents musiciens. Adrien Jeanite n’a rien à envier à aucun maestro d’un ensemble de danse du pays de n’importe quelle époque. (En passant, je déplore le fait que depuis un certain temps, la rue affuble n’importe artiste moyen du titre combien prestigieux de maestro.) Rodrigue Toussaint fut une légende, Jean-Claude Dorsainvil un charme. Cependant, à mon humble sens, l’âme du Bossa Combo était Raymond Cajuste. L’ingénieur Fritz Joassin trouvera les mots qu’il faut: « Raymond Cajuste, en dehors du maestro Adrien Jeanite, était l’étoile du Bossa Combo. Au début de la décennie 1970, en compagnie de Guy Durosier, j’avais le privilège de travailler avec cette formation en studio. Là, j’ai découvert les talents de Raymond Cajuste en tant que chanteur. C’est un artiste hors du commun. » 

La touche de Raymond Cajuste est féérique. À part les seize albums qu’il a enregistrés avec le Bossa Combo, il nous en a laissé quatre superbes de son cru. Chacun d’eux représente le reflet fidèle de son âme. Dans Siempre en domingo (1979), il chante « Nan Ginen » qui traduit sa fidélité à l’Afrique. Éclectique, en juin 2001, il publiera un disque de chansons évangéliques, produit par son jeune frère Lesly Pierre. Deux ans plus tard, il fera paraître Exodus qui dévoilera la permanence de sa sensibilité maladive. Son dernier, Mémoire, paru en 2015, montrera l’éclat de son timbre nuancé, bien qu’affaibli par la maladie. Comme le bon vin, sa voix s’est bonifiée en dépit de l’usure du temps.

Raymond Cajuste a offert ses talents à ses camarades dans certains de leurs projets musicaux. Parmi eux, signalons les albums « Tonton Relax » (1981) et « Joui la vie ou » (1982) de Tuco Bouzi. Au cours de cette même période, sa suave voix de petit enfant de chœur a conféré à la « Première communion » de Mario de Volcy toute son élégance et toute son essence spirituelle.

En septembre 1970, à la Basilique Notre-Dame à Port-au-Prince, Raymond épousé son amour de toujours: Bernadette Laguerre. Cette dernière lui a laissé quatre merveilleux enfants : Clark, Fabiola, Syncia et Joanne. Pour cette dernière, il avait ciselé en 1984 un petit bijou du même prénom. Clark est pratiquement son héritier musical. Raymond les a chéris comme la prunelle de ses yeux. 

Circa 2015. La santé de l’artiste commence à susciter de vives inquiétudes. Malgré tout, cela n’avait pas mis un terme à son élan artistique. Au début de l’année 2016, il retourne au pays pour rejoindre le Bossa Combo qui reprenait ses activités après un très long hiatus. Il sera applaudi un peu partout : au « Bar de l’Ère » (rue Capois), à « Lakou Lakay » (Delmas 29), à Petit-Goâve, au Tropicana Night-Club, à l’occasion des 53 ans de « La Fusée d’Or », etc. Un an plus tard, ses médecins le recommandent de regagner immédiatement les États-Unis, puisque son état de santé empirait chaque jour un peu plus. Le 2 février 2017, il est amputé de la jambe gauche.

« Ne sous-estimez jamais le cœur d’un champion » avait lancé, le 1er juin 1995, Rudy Tomjanovich, l’entraineur des « Rockets » de Houston après la victoire de son équipe en finale.  Doté d’une grande force morale, cette condition n’avait pas éloigné notre champion de la scène. En juillet 2017, le public d’Haïti l’avait applaudi un peu partout, dont au Feu Vert Night-Club, à l’occasion des 69 ans de l’Orchestre Septentrional. En avril 2018, il foulera un tréteau pour la dernière fois de sa vie. C’était à Gantier. Peu après, il prendra  l’avion pour les Etats-Unis. 

En 52 années d’émulation musicale, soit de 1966 à 2018, Raymond Cajuste a touché toutes les couches de la population. « Pit kou mawo, zannana kou pengwen » avait apprécié son œuvre. Un jeune médecin adventiste, ténor à ses heures perdues, qui a grandi dans une stricte ambiance religieuse, s’est senti bouleversé par la perte d’un « si grand artiste ». Joint lundi dernier au téléphone, le contrebassiste gonaïvien Arold Edouard Mathieu m’a confié : « Raymond Cajuste a exercé une très grande influence sur moi. Partager la scène avec lui pendant près de 40 années a été le plus grand honneur de ma vie. C’était un monument, un mapou… »

Claude Aurélien, l’un de nos plus célèbres chanteurs évangéliques, a salué en l’auteur de Deuxième indépendance « un très grand compositeur, un grand chanteur de grande classe, qui a largement contribué à l’essor de notre musique ». Pour le trompettiste rivanordais Jean-Louis Lubin, ancien maestro de l’Orchestre Tropicana d’Haïti, « Raymond Cajuste était un de nos meilleurs artistes et un compositeur de belle souche. C’est un géant qui nous a laissés. » 

Le docteur et professeur Marcelo Mitchelson, ancien co-animateur d’émissions musicales à Port-au-Prince, a ainsi résumé la carrière du grand disparu : « À mon humble avis, Raymond Cajuste était l’une des plus belles voix des mini-jazz de chez nous. Elle se reconnaissait entre mille. 

Raymond représentait, à un certain moment, le visage du Bossa Combo par la joie de vivre qu’il transmettait aux autres musiciens et au grand public. Sa disparition constitue une vraie perte pour la musique de chez nous. » 

En effet, quelle perte immense ! À part ses quatre enfants, Raymond a laissé pour le pleurer également ses petits-enfants, ses frères et sœurs - Jacqueline Cajuste Augustave, Félix Cajuste, Mirlène Jean, Yola P. Lebrun, Marlene Pierre, Lesly Pierre -, ses nombreux neveux et nièces et anciens complices musicaux, en particulier ceux du Bossa Combo. Que chacun d’eux, par ce simple texte, accepte mes plus sympathiques condoléances. 

Ainsi va la vie. « Sou latè beni, tout n’est que vanité / Nou pa vinn pou n rete / Se pase nap pase… Pa bliye nou se pasaje…» avait si bien chanté notre icône dans son exquise pièce « Vanité ». Certainement, nul et rien ne sont éternels ! Ce qui est sûr c’est que le nom de Raymond Cajuste, à cause du génie de celui-ci, restera gravé dans l’éternité de la musique haïtienne. Comme disait le poète : « Tout passe en cette vie hormis le souvenir. » À mon humble avis, notre nation lui doit une fière chandelle. 


Crédit: Louis Carl Saint Jean

samedi 7 janvier 2023

L' immortel Ansy Dérose !

Ansy Dérose, né le 3 juin 1934 à Port-au-Prince, en Haïti, est un chanteur haïtien du xxe siècle, décédé dans la capitale haïtienne le 17 janvier 1998, à l'âge de 63 ans.

Né à Port-au-Prince le 3 juin 1934, Ansy Dérose commença très tôt sa carrière de chanteur sous la conduite de Mme Elisabeth Mahy, Professeur de technique vocale, de nationalité française. Pendant toute une décennie, il ne chanta que les mélodies de Frantz Schubert, de Schumann et de Beethoven. Il excella dans les airs de Lalo, de Jules Massenet et de Gabriel Fauré. Ayant obtenu une bourse qui lui permit de continuer ses études techniques en Allemagne (où il se rendit le 23 novembre 1963), il ne négligea pas pour autant son talent et son art. C'est pourquoi il s'inscrivit au « Musick Hoch Shule » où ses professeurs lui reconnurent un grand talent d'interprète. Par la suite, transféré à Sarrebruck, il participa à un concours d'amateurs programmé par la Radio télévision de cette ville, concours dont il sortit premier lauréat. C'est ainsi qu'il commença à faire connaître dans le pays de Goethe et Beethoven les chansons traditionnelles haïtiennes ainsi que celles, d'une facture remarquable, qu'il composait déjà lui-même. À son retour d'Allemagne en 1964, invité par des parents pour un séjour à Chicago, il y resta dix-huit mois et s'inscrivit au « American Conservatory of Chicago » sous la direction du Grand Maître G. Moore dont il gagna l'estime et l'admiration. Sa grande entrée sur la scène internationale fut au « Premier Festival mondial de la chanson » qui se tint à Mexico en novembre 1970, avec certains des plus grands noms de la musique européenne et sud-américaine, et des chefs d'orchestre et arrangeurs comme Paul Mauriat, Franck Pourcel, Pochio Perez. Sur les soixante-dix pays représentés, sa chanson Maria, l'une de ses toutes premières compositions, arrangée par Pochio Perez, gagna le troisième trophée. Ceci lui valut une colonne dans la première page du journal officiel Olimpo de Mexico où l'on pouvait lire ceci : « …Avec Ansy Dérose d'Haïti se rompt la chaîne des triomphateurs européens ». Malgré les nombreuses offres qui lui ont été faites par des firmes européennes, Ansy Dérose, après cette expérience, comprit l'urgente nécessité de poursuivre ses études musicales. En dépit de l'absence de Conservatoire, il décida de retourner au pays natal. Doué d'une incroyable capacité à se former et à se parfaire, notre autodidacte choisit de s'adonner corps et âme à la tâche avec un acharnement implacable et s'enferma pendant trois mois, travaillant jour et nuit, déterminé à corriger ses insuffisances. Après treize ans d'enseignement à l'Ecole professionnelle J.B. Damier, il en devint le directeur. Après le départ des experts, le niveau de l'enseignement baissa considérablement et notre nouveau directeur dut se mettre en quatre pour le relever: il s'employa à faire recruter des professeurs qualifiés et surtout à trouver les fonds indispensables (qui ont toujours cruellement manqué) au bon fonctionnement de l'établissement. Il suivit aussi pendant trois ans des cours d'Architecture et de décoration intérieure. En 1972, son premier disque Ansy, sa Musique et sa Poésie fit les délices des mélomanes. Son second album Quo Vadis Terra (1974) connut un succès inépuisable. Ses chansons, symboles d'espoir, d'amour et de fraternité, ont fait de lui le chanteur le plus adulé du pays.

Entretemps, Ansy découvrit en sa femme, Yole Ledan Dérose (1976), une parolière d'une grande sensibilité et une voix extrêmement harmonieuse qui, jointe à la sienne, était destinée à produire un effet des plus heureux. Un spectacle fut donné au Rex Théâtre pour partager avec le public haïtien le deuxième prix du Festival international de la Chanson et de la Voix. C'est à cette occasion que le public découvrit Yole. Ce fut le coup de foudre et, désormais, le public ne se passa plus de ce couple mythique. Yole et Ansy, c'est la réplique de deux voix sœurs, le symbole unique en Haïti d'un couple qui a réussi sur la scène artistique comme dans la vie privée. La popularité déjà solide d'Ansy a certainement été renforcée par la voix douce et vive de sa compagne dont on est unanime à vanter l'éclatante beauté. Porteurs de rêves et de tendresse, leurs noms sont toujours évoqués avec fascination et jouissent d'un renom sans égal. Leur spectacle en « Hommage à la Jeunesse », au Stade Sylvio-Cator, le 11 mai 1985, devant plus de vingt cinq mille spectateurs, auquel participèrent neuf jeunes talents des neuf départements géographiques du pays en est une preuve éloquente

Sa femme, Yole Dérose, a chanté à ses côtés pendant plus de vingt ans.


Discographie

1972

Ansy, sa Musique et sa Poésie


LP – Face A

1. M'anvi al lakay mwen (Je veux rentrer chez moi) A. Dérose 03:54

2. Ginou A. Dérose 03:25

3. Ne pars pas A. Dérose 03:14

4. Kouray A. Dérose 03:25

5. Inquiétude A. Dérose 03:22


LP – Face B

6. Régina A. Dérose 02:54

7. Chacun pour soi A. Dérose 03:43

8. Frè Dò A. Dérose 02:42

9. Laura A. Dérose 04:33

10. L’Attente A. Dérose 02:48


Premier album solo d’Ansy Dérose.

1974

Quo Vadis Terra


LP – Face A

1. Quo Vadis Terra 04:32

2. Bonne fête Manman 02:53

3. Chérie, pa fè'm sa (Chérie, ne me fais pas ça) 03:43

4. Israël 06:30


LP – Face B

No Titre Auteur Durée

5. À ma Sœur 04:37

6. Naïdée 05:28

7. Ti Kafé A. Dérose 05:17

8. Sé ou (C'est toi) A. Dérose 04:29


1979

Merci


LP 

1. Roses Noires

2. Merci

3. Malsite

4. Thérèse

5. Message

6. Mon Crime

7. Mon Existence

8. Testament


Album Marc Records LP-294, par Ansy Dérose ;

primé au Cinquième Festival de la Chanson et de la Voix à Porto-Rico, en octobre 1979.

1991

Merci


LP – Face A


1. Merci A. Dérose 05:11

2. She H. Kretzmer/C. Aznavour 03:42

3. Yellow Bird Norman Luboff (en)/Walton 04:10

4. If You Love Me G. Parson/M. Monnot 04:01

5. Caminito S. Filiberto/C. Penaluza 04:12


LP – Face B

6. Let Everyone Live A. Dérose 03:58

7. Let It Be Me M. Curtis, P. Delanoë, G. Bécaud 03:44

8. Women of the World A. Dérose 04:00

9. Danny Boy (en) F. Weatherly (en) 04:25

10. Memories A. Wébert, T. Nunn, C. Koppelman 04:44


Albums en collaboration avec Yole Dérose

Année Titre de l'Album

1983

Anakaona, Reine d’Haïti

LP

1. Anakaona

2. Pran konsyans

3. Ma Chanson

4. Main dans la main

5. Mwen renmé'w

6. Si Bon Dyé

7. Prélude


Album Marc Records LP-335, par Yole et Ansy Dérose.

1987

Ansy Dérose, Nou Vlé

LP

1. Nou Vlé

2. Hymne à la Jeunesse

3. Femme

4. Chanson pour Haïti

5. Fanm Péyi'm

6. Toi le Musicien

7. Brav gede


Album des Productions Artistiques AD, par Yole et Ansy Dérose.

1989

Yole Dérose : Quand mon Cœur Bat la Mesure

CD


1. Quand mon Cœur bat la Mesure

2. Kenbé'm Chéri

3. Lontan Lontan

4. Tounen

5. Lawoman n

6. Tonton Nwèl Chéri

7. Tandé lanmou

8. Sé frè nou yé


YA002CD, par Yole Dérose

1997

Haïti Mélodie d’Amour (CD, réédité en 2003)

CD

1. Haïti Mélodie d’Amour

2. Bèl pasé bèl

3. Kanaval-la fin pasé

4. Kiskéya, péyi pa'm

5. Anita

6. Il n’y a que toi

7. Enfants d’Haïti

8. Ranya

9. Toi et Moi

10. La Vie

11. Chanta zannimo

12. Tonton Nwèl Dayiti

13. Chante l’Oiseau

14. Ma Prière


Album réédité en 2003.

Albums Best off

Année Titre de l'Album

1996

Ansy Dérose, les Titres d’Or (Double CD, réédité en 2003)


CD 1

1. Quo Vadis Terra

2. Testament

3. Anakaona

4. Message

5. Femme

6. Chanson pour Haïti

7. Mon Existence

8. Nou Vlé

9. Frè Dò

10. Mon Crime

11. Bonne Fête Manman

12. Brav gede

13. Thérèse

14. Naïdée

15. Ma Chanson

16. F.D.A. w anragé


CD 2

1. Ti Café

2. Laura

3. Hymne à la Jeunesse

4. Pran konsyans

5. Chacun pour soi

6. Roses Noires

7. À ma Sœur

8. Merci

9. Fanm péyi'm

10. M'anvi al lakay mwen

11. Prélude

12. Sé ou

13. Malsite

14. Toi le Musicien

15. Kouray


Contenu: 2 CD

2008

Ansy Dérose, Immortel… (Quatre CD)


CD 1

1. Chacun pour Soi

2. Laura

3. Frè Do

4. Manvi al lakay mwen

5. Kouray

6. Régina

7. Quo Vadis Terra

8. Bòn fèt Manman

9. À ma Sœur

10. Naïdée

11. Ti kafé

12. Sé ou

13. Merci

14. Roses Noires

15. Testaman

16. Message

17. Mon Existence

18. Thérèse

19. Mon Crime


CD 2

1. Anakaona

2. Mwen renmen'w

3. Ma Chanson

4. Pran konsyans

5. Prélude

6. Si Bondyé

7. Nou vlé

8. Hymme à la Jeunesse

9. Fanm péyi'm

10. Femme

11. Brav gede

12. Toi le Musicien

13. Chanson pour Haïti

14. F.D.A. w anrajé


CD 3

1. Merci

2. She

3. If You Love Me

4. Let It Be Me

5. Danny Boy

6. Memories

7. Caminito

8. Alientame

9. Sobre las alas de la canción

10. Quand mon Cœur bat la Mesure

11. Kenbe'm chéri

12. Lontan Lontan

13. Tounen

14. Tandé lanmou («Écoute l'amour»)

15. Lawomann

16. Sé frè nou yé («Nous sommes des frères»)

17. Tonton Nwèl chéri


CD 4

1. Haïti Mélodie d'Amour

2. Bèl pasé bèl

3. Kanaval-la fin pasé

4. Kiskéya, péyi pa'm

5. Anita

6. Il n'y a que Toi

7. Enfants d'Haïti

8. Ranya

9. La Vie

10. Chanté zannimo

11. Tonton Nwèl dayiti

12. Chante l'Oiseau

13. Ma Prière

14. Tezen

15. Chanson pour Haïti