samedi 11 octobre 2025

Haïti/Musique : La légende de Ti-Manno !

 

LA LEGENDE DE TI MANNO

Ecrit par Pierre-Michel Théodat

Sources: Mario De Volcy & Pierre Michel Théodat

Emmanuel Jean-Baptiste né aux Gonaïves la cité de l'indépendance d'Haïti un certain 2 juin 1952. Il partageait son enfance à la maison avec ses parents Mr et Mme Jean-Baptiste, ses trois frères Eden, Rossini, Colbert, et ses deux sœurs.

A l'âge de 12 ans, il partit avec son père s’installer et chercher du travail dans la deuxième ville du pays, au Cap-Haitien. Il y fit sa première apparition sur scène dans un concours de chant, dans un programme ciné-théâtre qu'organisait l'Orchestre Septentrional du Cap au profit des jeunes, intitulé Rendez Vous des Artistes.


Le jeune garçon très timide qu'on a chahuté à sa première chanson, avec insistance, demanda une seconde chance de performer une autre chanson. C'est là qu'il éclata aux yeux de l'assistance qui ne voulait pas de lui une demie heure avant. Après ce succès, il bossa dans son premier groupe (Super Stars) au Cap-Haitien avec Ti Gousse, Pascal Albert, Fito Léandre (ancienne gloire du football haïtien-Epopée 1974), Eddy Leroy, etc. Retourné aux Gonaïves il forma le groupe DATSUN parce que les gens de la zone le surnommèrent déjà Le Soleil Des Dattes par allusion à l'endroit où il a vu le jour : “Avenue Des Dattes”.


Ti Manno rentra à Port-au-Prince pour ses fins d'études secondaires. Là, on le vit accompagné par le groupe SHUPA-SHUPA en compagnie d’Edouard Richard. Il fréquentait souvent le groupe Les Fantaisistes de Carrefour sous la direction de Carmin Bichotte. Retourné aux Gonaïves pour ses vacances d'été, il alla à Saint-Marc pour prêter ses services aux Diables du Rythme de Saint-Marc. Le maestro Nemours Jean-Baptiste, père du compas direct, y a vu Emmanuel chanter au sein de ce groupe et voulut avoir cette voix pour une tournée américaine avec son groupe. Et c'est là qu’advint l'histoire de noms: Emmanuel et Antoine Rossini parce que l’acte de naissance d’Emmanuel était resté avec le maestro Nenours.


Tout de suite après, le groupe « Diables du Rythme de Saint-Marc » allait faire une tournée au Canada et Emmanuel n'était pas en possession de son acte de naissance. Pour se procurer d’un passeport tout de suite, Ti Manno utilisa celui de son frère Antoine Rossini Jean-Baptiste qui vit depuis lors sous le nom de Rossini Jean-Baptiste. Avant la fin de la première moitié des années soixante dix, il voyagea au Canada avec Les Diables du Rythme de Saint-Marc.


Officiellement son nom devint Antoine Rossini Jean-Baptiste. Du canada, Emmanuel se dirigea vers les Etats-Unis et prit la route de Boston, sur la demande des musiciens de Volo-Volo emmenés par les frères Félix. Il intégra le groupe et enregistra un album à succès. Sur cet album, il interpréta toutes les chansons y compris le méga hit Caressé, sauf Rivyè m' Simalo chantée par Ricot Mazarin issu des Fantaisistes de Carrefour qui était une grande super star très connue à l'époque. Après une tournée en Haïti pour le carnaval 1975, Volo Volo retourna à Boston sans Emmanuel que le public en Haïti identifia comme un chanteur avec une belle voix. Il fut le seul chanteur à

honorer la tournée avec le groupe. Il resta au pays, problème de visa! Il essaya de rejoindre les groupes Les Ambassadeurs et Bossa Combo, sans succès. 


Après quelques longs mois, il retourna aux Etats-Unis. Cette fois du côté de New York avec Arsène Appolon, Ti Mitou Frederique, Ronald Smith, Bobby Raymond, etc. au sein du groupe AA Express. Ce groupe devient rapidement Astros, là encore Ti Manno interpréta toutes les chansons du premier album sauf Bingo chantée par Ernst Letemps ancien chanteur à succès de l'Ensemble de Nemours Jean-Baptiste.


De la Guadeloupe après une tournée avec le groupe Astros ça a mal passé pour lui, il fut déporté en Haïti avec interdiction de retourner aux Etats-Unis. Mais cette fois la chance lui a souri, parce que le chanteur du DP Express avait annoncé son départ du groupe et n'avait pas encore de remplaçant. On a annonça sur les ondes que Ti Manno allait prendre la place d’Hervé Bleus au sein du DP.


Il passa deux saisons à animer le carnaval en Haïti au sein du DP Express. Biberon et Sèso sont les titres des 2 morceaux carnavalesques à succès qu'il chanta avec le groupe aux cotés de Jean-Robert Hérissé (Porky ), Lesly Dauphin, Claudy Fremont, Alvarez, Almando Keslin, Philippe Denis, Pierrot Kersaint, Eddy Wooley, Raoul Denis Jr, Wilfrid Lafond, Ernst Georges, Serge Collin, et Pinm. Pendant ces deux saisons il osa des choses sur ce parcours qu'aucun chanteur n'avait fait et tenté avant. Onze mois avant la sortie de l'album David, ce titre était en rotation sur toutes les stations de radio en Haïti. On a annoncé que cette chanson a été remaniée par Ti Manno pour figurer sur l'album. Cette décision suscita des débats de partout. Même au sein du groupe certains musiciens ne partageaient pas cet avis parce que le David était déjà un super hit. A la sortie de l'album on constata sur cette version une vitesse au ralenti et la voix de Ti Manno en double. Cette nouvelle interprétation est devenue dans l'espace d'un mois un méga hit, contrairement à ce que pensaient certains pessimistes. A l'époque l'album battait tous les records de vente jamais réalisés dans l'industrie de la musique haïtienne, en si peu de temps.


La première tournée américaine de Ti Manno avec le DP Epress en tant que Méga Star a connu un succès économique sans pareil, sous une production de Fred Paul, de Mini Records. Mais le public n'eut pas la chance de bien savourer son chouchou parce que les soirées n'atteignirent pas une heure du matin. Toujours trop de monde venu voir Ti Manno, la police de la zone était obligée de mettre fin très tôt à ces soirées. Après avoir battu tous les records jamais réalisés par une super star haïtienne, Il décida de quitter le DP Express suite à une grande soirée sur invitation en Haïti, pour raisons socio-administratives.

Ti Manno décida de former son propre groupe avec deux jeunes super stars bien en vogue à cette époque dans le pays. Sa vision était d'avoir Mario de Volcy super star du Bossa Combo à la batterie, et Claude Marcelin super star du DP Express à la guitare, Choupit Jacquet (Percussions), Gerto (Basse), Ansyto (Keyboards), Pierre-Gilles (Trompette), Wilem Colas (Sax), et Raynald Valme (Congas). Le groupe devrait s'appeler OURAGAN. Les musiciens se rencontrèrent près de neuf à dix fois et eurent une seule répétition. Ne pouvant s'entendre sur des points administratifs bien

précis, Mario et Claude avaient décidé de ne plus faire la route avec lui. Ils laissèrent le pays pour des études à l'étranger respectivement à New York et la Jamaïque.


En hiver 1981, Ti Manno sortit un titre (Lajan), comme bon natif du gémeau il nomma son nouveau groupe GEMINI ALL STARS DE TI MANNO. Succès sans pareil, il conquit le cœur de chaque haïtien avec ce titre jamais traité avant dans la musique haïtienne. Tout le monde attendait avec impatience la sortie du groupe et de l'album. Le 19 juin 1981 était projeté comme grande première du groupe. Le pays tout entier était en branle ne pouvait plus attendre l’arrivée de cette date pour constater ce que leur idole allait offrir avec un groupe de très jeunes musiciens pas connus dans le milieu musical.


(Delmas, Haïti) - 19 juin 1981- Kings Club le théâtre de l'événement. La zone était bloquée à plusieurs kilomètres. Encore une fois Ti Manno releva un autre défi dans sa vie de martyr. Vous devez savoir que rien n'a jamais été facile pour lui partout oû il passa. Il devrait toujours à prouver le contraire aux lourdauds. Il sortit son premier album (Lajan) avec le Gemini sous le label Musique Des Antilles de Jean-Claude Verdier. Dans moins de douze mois, jouissant de la complicité de Mr Verdier, un autre album tout neuf est sorti (Exploitation). Un autre grand succès! A la rue Dr Audin, chez Pè Féfé le papa d’Ansyto Mercier, on a vu l'ascencion de Ti Manno avec le Gemini. La maison, qui abrita des objets de l'artisanat haïtien, s'était vite transformée en Ansyto Fans Club le nouveau local du groupe.

Pendant les quatre ans du Gemini, près d'une quarantaine de musiciens défila dans ce groupe: Ansyto Mercier, Claude Valbrun, Marco Divine, Patrick Comeau, Pokito Almatas, Frantz Carries, Georges Nazie, Claude Cajuste, Mario Germain, Mario Collin, Patrick Antoine, Willem Colas, Bellande Moise, Patrick Casséus, Ronald Michel, Imgart Manigat, Edwige Damas, Reginald Pierre, Féquière Paroisse, Gabriel Morin, Daniel Alcé, et Erick Charlier (Manhattan) pour ne citer que ceux la.


Ti Manno était surtout un chanteur de charme qui interprétait des chansonnettes françaises en boléro. Il prenait un grand plaisir dans ses soirées dansantes à chanter des pots pourris de boléro (popularisés par le Grand Gérard Dupervil) pendant près d'une heure. Il a su garder cette qualité de chanteur de charme toute sa carrière. Cette voix, chaude et mélodieuse, adaptée au compas direct a fait beaucoup d'heureux.

Après nombre d’années, cette voix est la plus imitée jusqu'à ce jour. C'est le musicien haïtien qu'on a le plus interprété. De cette voix, il n'avait pas besoin rien de spécial pour mettre n'importe quel public en transe. Avec une seule main en l'air, son micro à la bouche, un air très sérieux, il regardait son public et faisait tout ce qu'il voulait avec ce public.


Bon compositeur et parolier, Ti Manno a su adapter de très belles mélodies à ses paroles pour les délices de son public. Ses compositions ont dépassé les frontières d'Haïti pour atteindre le coeur et la conscience d'autres nations francophones. Avant, c'était sa voix mélodieuse et chaude qui attirait l'attention des oreilles sensibles. Après, c’était le contenu de ses textes qui soulevait une sorte de révolution chez les gens. Il voulait changer les mœurs cachées de la société et en Haïti plus particulièrement (un mouvement commencé par le Bossa Combo avec des titres comme: Message, Courage, Vanité, Accolade, et 5eme Commandement). A un certain moment, a cause de se textes socio politiques, on l'a dénommé " Ti Manno le Bob Marley haïtien". Il a chanté des textes qui font toujours actualité, beaucoup de temps après son passage.


Ti Manno était un homme très timide et toujours pensif. Dans sa vie normale, il ne pouvait regarder une personne fixe dans les yeux. Quand il vous parlait, on pouvait à peine l'entendre, c'est comme il était toujours en train de vous confier un dernier secret. Ti Manno était très discret et réservé et n'avait jamais eu sur son visage l'expression d'une personne contente d'être en vie. Mais, par contre il chantait la vie. Au dire de certains proches musiciens, il souffrait d'une colique depuis qu'il faisait partie du DP Express.


Entre temps il collabora avec Gerald Merceron (Le meilleur musicologue haïtien de tous les temps) sur un album à tendance World Beat.

Il dirigea son groupe le GEMINI ALL STARS DE TIMANNO du 19 juin 1981 à quelques six mois avant sa mort le 13 mai 1985. Un dimanche de 1985, sur une station de radio à New York (Moments Créoles) de Fritz Martial était lancée Oprerasyon Chache Ti Manno. Tout de suite il appela au téléphone, il était déjà en ondes avec une voix rechignante que l'on pouvait vite deviner c'etait pas le Manno des grands jours. Beaucoup de personnes qui l'écoutaient, ce jour la, appelaient au téléphone et pleuraient avec lui. Il avait fait mention parmi tous les musiciens haïtiens seul Shoubou du Tabou Combo avait cherché ou il s'était réfugié avec une maladie très compliquée. Il a dit aussi qu'il n'a rien contre eux parce qu'il vit dans le même milieu avec eux. Pour continuer, il a ajouté que les musiciens devaient parler avec leur conscience et dire pourquoi ils n’avaient pas cherche où se trouvait Manno?

La communauté haïtienne de New York, représentée par Guy Victor, avait prit le cas Ti Manno à cœur. Ti Manno a été admis dans un hôpital à Manhattan pour des traitements intensifs, sous la diligence des docteurs haïtiens Altémar et Romulus. Operasyon Men Kontre (chanson de Ti Manno) est l'un de ses titres qu'on avait vulgarisé pour collecter des fonds pour donner la vie à ce monument qu'il représentait pour notre chère culture.

Moins d'un mois après l'entrevue, Ti Manno décéda à New York le 13 mai 1985. Il a passé ses derniers jours à l'hôpital St Luke à Manhattan. On avait exposé le corps, de la super star qui va devenir une super légende aprés sa mort, à Franck J. Barone entre la route D et la 45ème rue à Brooklyn. La cérémonie funéraire s'est tenue le 18 mai 1985 à l'église de St Mathew à Brooklyn sous la direction du père Jeannot. Il repose au cimetière de Cavalry (section 10 plot 17) dans le quartier du Queens à New York. Il n’y a pas de pierre tombale pour identifier là oû se repose notre Ti Manno Nationale mais bien un arbre qui nous guide à chaque visite.


Le gouvernement de son Excellence Jean Claude Duvalier, par la personne du docteur Roger Lafontant, voulut rapatrier le corps de Ti Manno en Haiti pour des funérailles nationales. Mr Lafontant avait octroyé un passeport avec un visa américain en deux jours et de l’argent à son frère Colbert Jean-Baptiste pour aller chercher la dépouille mais la femme de Ti Manno ne partageait pas cette idée. Aux dires de plus d’un c’est là 

que commencèrent les conflits entre sa veuve et la famille Jean-Baptiste.


Beaucoup de grandes personnalités haïtiennes dans tous les domaines, et un public nombreux ont payé leur dernier respect à Ti Manno: Le Dr René Audin, Myriam Dorisme, Dadou Pasquet, Roger M Eugene (Shoubou), Jean-Ely Telfort (Cubano), Patrick Comeau, etc. Le Dr. sociologue René Audin qui prononçait l'homélie a eu à dire haut et fort a la femme de Ti Manno: "Madame, séchez vos pleures, les femmes des artistes ne pleurent pas". Au cimetière, il n'y a pas de pierre tombale pour identifier là oû il se repose. C'est un arbre, comme référence, qui grandit sur sa dernière demeure.


Le jour qu'on célébrait le passage de la Super Légende Haïtienne Emmanuel Jean-Baptiste sur cette terre dans ce cimetière de NY, le père du Compas Direct Nemours Jean-Baptiste décéda en Haïti le même jour. C'était un samedi le 18 mai 1985 qui coïncidait avec la fête du drapeau haïtien, il y avait un vent terrible anormal qui soufflait sur New York, ce jour là. Jean-Baptiste pour Jean-Baptiste --- 18 mai 1985

Des manifestations pour marquer le passage de Ti Manno: Armando Keslin ancien batteur du DP Express organise un festival en Haïti à la mémoire de Ti Manno chaque 13 mai. Thélar Management, sous la direction de Farah Larrieux et Pierre Michel Théodat, avait fait chanter deux messes en Haïti (Mai 2001 et 2002) pour célébrer la vie d’Emmanuel Jean-Baptiste et Nemours Jean-Baptiste. Des albums et beaucoup de titres enregistrés en reconnaissance à Ti Manno. Aux Antilles, plus particulièrement à la Martinique, il y a une manifestation qui se fait chaque 13 mai pour marquer le passage de cet homme phénoménal.


New York le 18 mai 2005, pendant beaucoup de gens se préparaient pour aller fêter au Compas Festival de Miami. Mario de Volcy, Carole Demesmin, Lesly Elie, Pierre Michel Théodat, et un homme de prière étaient à Calvary Cemetary sur la tombe de Ti Manno pour célébrer ses vingt ans depuis qu'il nous avait laissé. La cérémonie était tellement intense qu'on avait voulu partager ça a un plus grand public. On appela la radio Planèt Kreyòl en Haïti à l'émission An Nou Alez qu’animait Woodnave Leroy qui retransmit Mario et Carole en direct depuis la tombe de Ti Manno. C'était vraiment d'une émotion sans pareille! On pleurait Ti Manno, une fois de plus, ce matin là.


New York le 18 mai 2006, accompagnée de Pierre Michel Théodat, Marie Françoise Guizonne (de la Guadeloupe) avait fait le déplacement depuis Saint Martin vers New York pour aller déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Ti Manno. Elle ne voulait la présence de personne au moment elle était en conversation avec son artiste.

Quand les Haïtiens ferment les yeux sur nos monuments, les étrangers les valorisent pour nous.



Crédit (Texte): Pierre Michel Théodat



Sources: Mario De Volcy & Pierre Michel Théodat...''.Mario DeVolcy''


https://soundcloud.com/devolcy/diskou-de-rene-audain-sou-tonb-ti-manno?in=devolcy%2Fsets%2Fti-manno&utm_source=soundcloud&utm_campaign=share&utm_medium=facebook

dimanche 24 août 2025

Men ki moun Master Dji te ye !

 MASTER DJI: Biyografi yon Lejand

(Tèks ekri pa Mingolove Romain)


Georges Lys Hérard ke tout moun ta pral  konnen pita sou non "Master Dji" fèt 30 me 1961 nan vil Pòtoprens an Ayiti. Li se pitit Antoine Rodolphe Hérard ki te majistra Pòtoprens pandan yon ti tan sou Francois Duvalier. Papa Master Dji (Antoine Rodolphe Hérard) te sitou yon gwo animatè e repòtè (foutbòl) trè popilè nan Radio HH2S (Ayiti) ant 1936 e 1940, epi answit animatè e pwopriyetè Radio Pòtoprens (Ayiti) a pati de 1942. Radyo Pòtoprens se te estasyon ki te fè anpil pwopagann pou Francois Duvalier nan eleksyon 1957.

Master Dji, ke tout Ayiti rekonèt kòm papa rap kreyòl, te grandi nan yon atmosfè ki te pèmèt li devlope pasyon li pou mizik. Pwiske Radyo Pòtoprens se te pou papa l, sa te pèmèt ke, trè jèn, Master Dji te kòmanse montre enterè nan zafè animasyon nan radyo. 

Master Dji te kòmanse anime nan radyo a laj 16 zan. Se te nan Radio Pòtoprens an 1977 avèk yon emisyon ki te rele "Made in USA". Depi lè sa a li te gentan branche tout tandans mizik ameriken.

Se Master Dji ki te premye jwe mizik rap ameriken sou radyo an Ayiti. Sa te pase an 1979 e se te mizik ki rele "Rapper Delight" ke  gwoup Sugar Hill Gang te fè.

Apre etid primè ak segondè li nan Enstitisyon Senlwi Gonzag, Master Dji te antre nan Fakilte Medsin an Ayiti, men se te sitou pou fè paran li plezi paske se pa sa vrèman li te renmen. Aprè yon lane nan Fakilte Medsin, Master Dji te kite Ayiti pou l al pouswiv etid li an Frans. Men obsesyon li pou mizik ak radyodifizyon ta pral mennen Dji dwat nan mikwofòn Radyo Nova (an Frans) kote li te anime yon emisyon mizik.

Eksperyans Master Dji nan Radyo Nova ta pral konekte li plis ak tout kalite mizik, sitou mizik disko, ròkennwòl epi tou mizik rap/ipap ameriken.
Pandan li te an Frans, Master Dji te gen chans kolabore tou ak Radio Afrique # 1

Lè Master Dji retounen vin viv an Ayiti an 1983 li te anime emisyon WAML (With All My Love) nan Radyo Pòtoprens epi answit nan Radyo Metropòl kote nan yon premye tan li te konn kenbe pou JC International (Jean Camille) lè JC konn an vakans. Se te sèl animatè ki te konn ap DJ tou an dirèk pandan emisyon li. Tout gwo hit ipap, disko, fonk, wòkennròl nan epòk la, ou te ka tande yo nan emsyon Dji a. Pandan li te Ayiti, li te kolabore ak Radyo Frans Entènasyonal (RFI) e li te konn prezante yon emisyon pre-anrejistre sou Radio Kiss FM ki nan Nouyòk.


 Malgre epòk sa yo se mizik konpa, chansonèt fransèz, bolero, merenge ak mizik eslo ameriken ki te pi popilè an Ayiti, anpil jèn te gentan kòmanse fè foli pou lòt ritm tankou rege, ròkennwòl ak rap ameriken. Dji pa t ezite chache yon pè odas mete sou yon talan ak vizyon li pou li te brize limit sosyete ayisyèn lan epòk sa. Se konsa nan kòmansman gran vakans an 1982, Master Dji te pral lanse karyè li nan mizik ak yon grenn mizik rap ki rele "Vakans". Sosyete a ak kritik yo ta pral rekonèt mizik sa (Vakans) ki te gen vwa atis fanm Ayisyèn Sylvie D'Art sou li tou, kòm premye mizik rap kreyòl ki te anrejistre epi sòti sou radyo an Ayiti.

Malgre mizik sa pa t fè twò gwo siksè pwiske sosyete ayisyèn lan potko prè pou kategori mizik sa yo, sa ta pral kan menm ankouraje Master Dji pou li kontinye travay sou karyè li kòm chantè e rapè pandan li te toujou kenbe rèd kòm animatè radyo epi tou kòm diskdjokey (DJ). 

Fò m sinyale ke se Master Dji, kòm DJ, ki te òganize premye Block Party an Ayiti. Se te nan Delmas 65 nan ane 1984. Dji se premye moun tou ki fè konkou "break dance" an Ayiti nan lanne 1984-1985 nan Rex Teyat e li se premye moun Ki fè konkou DJ an Ayiti nan lanne 1987.
An 1984 Master Dji te anrejistre an fransè yon lòt mizik rap ki te rele Un Samedi Soir. 

Nan ane 1985,  Master Dji te rejwenn gwoup Kajou kòm yonn nan chantè ti gwoup mizik konpa nouvèl jenerasyon sa kèk jèn tankou Richard Dallemant te fonde nan Pòtoprens. Kajou te sòti yon plak ki gen 2 mizik, yonn man chak bò, "Vle Pa Vle" epi "Tèt Chaje". Avèk gwoup Kajou, Dji te chante yon mizik ki rele "Wale Kite m" ki te konn atire atansyon piblik la lè Kajou ap pèfòme.

Master Dji te patisipe tou kòm aktè nan Descent into Hell (Descente aux Enfers), yon film etranje ki te sòti an 1986. Yon bon pati nan film sa te jwe an Ayiti.



Aprè depa diktatè Jan Klod Divalye an 1986, Ayiti ta pral konnen yon gran evolisyon nan lide ak nan zafè atistik. Sa ta pral pèmèt Master Dji frekante anpil lòt jèn talan nan epòk sa a. 

Se konsa yon ti tan aprè, an 1987, Master Dji ta pral sòti grenn mizik ki rele *SISPANN* lan sou albòm albòm SHAP volim 1 an . Mizik sa ki se yon estil rap ak world beat pat pran tan pou l te vin yon gwo bout it. Siksè mizik sa te enspire Dji pou l kontinye travay epi pèfeksyone estil mizik li. An 1988, Dji sòti grenn mizik ki rele TANN POU TANN lan. Mizik sa te vin touswit yo gwo it. 

Malgre siksè li nan radyo ak nan mizik, Master Dji pa t deside kanpe la. Li te vle konkeri tout ang nan mond entètennment lan. Nan lane 1988 la, ak kolaborasyon Ralph Boncy, Marc Lubin, Giorgio, Fritz Gerald Calixte epi Raphaël Féquière, Dji ta pral fonde Tap Tap Magazine. Vit vit, magazin lan ta pral vann kon pate cho nan Pòtoprens pandan 3 ane. Pami tout rezon ki fè anpil jèn te fè foli pou Tap Tap Magazine, se sitou yon seksyon ladann ki te rele Les Refrains Qui Font Bouger ak yon lòt seksyon ki te rele Coins des Ondes. Premye seksyon an, yo te konn pibliye tout pawòl mizik ki ap mennen yo. Nan seksyon Coin des Ondes lan menm, yo te konn pibliye foto ak enfòmasyon pèsonèl sou yon animatè radyo ki ap mennen nan Pòtoprens lan.

Antretan, Master Dji te toujou ap travay sou karyè li nan mizik. An 1989, Dji antre Nouyòk epi ale nan estidyo kote li te travay sou plizyè nouvo mizik pou l te ka konplete anrejistreman premye albòm solo li te bay tit Politik pa m. 

Ak albòm sa (POLITIK PA M), Dji te ranpòte dezyèm plas Grand Prix des Medias nan konkou Dekouvèt jèn talan ke RFI te òganize nan lane 1989. Sou premye albòm sa, nou te jwenn mizik sa yo: Pou Timoun Yo, Nan nan nan, Chimen Paradi, Tann Pou Tann, Petite Fille des Tropiques, W'ale, epi Sispann. Li te sòti sou labèl Bwa Patat an Ayiti.


Sou tout estasyon radyo, nan tout kamyonnèt Kafou Fèy, nan baladè, tout jèn nan epòk la, mizik sou albòm sa tap jwe tout jounen. Anplis de « Sispann » ak « « Politik Pa m », lòt mizik sou albòm sa tankou « Tann pou tann ». « Petite fille des trottoirs », « Wale kite m », « Chimen paradi » pat sispann fè plezi melomàn yo nan tout vil an Ayiti. 

2 zan pita, swa an 1991, Master Dji ta pral repibliye menm albòm solo li an, fwa sa sou CD ak labèl Melody Makers. Pou l te ka rann albòm lan pi kòmèsyal, li te ajoute 2 mizik tou nèf ki se Cach Cach Lanmou ak House of Love sou sou 8 mizik sa ki te deja sou albòm Politik Pam lan. E li te senpleman mete Master Dji sou po CD a, san tit Politik Pam. Se pou sa, souvan nou jwenn moun ki rapòte enkòrèkteman ke Master te gen 2 albòm solo. An reyalite se jlus 2 trak bonis ke li te ajoute sou menm albòm POLITIK PAM lan lè lap tap remete l deyò ak yon nouvo labèl. 

An Mas 1991, gen yon estasyon radyo ki rele Tropic FM nan Pòtoprens ki rive sou kadran an sou frekans 91.3 FM. Bon son, bèl mizik tout rit, bon jan espòt, djengèl ak anpil efè sonò, Tropic FM ap bat moun. Master Dji retrouve l nan ekip la kòm direktè pwogramasyon epi li te anime 2 emisyon, yonn chak maten ki rele « Jungle tropicale » [dabò ak Lori Manuel epi anaprè ak Sophia Desir e Auditeur X (Audix) kòm ko-animatè]. Lòt emisyon an se te chak Samdi aprèmidi e tout Ayiti an branche Tropic FM pou koute « RAP Nation/Samedi en Folie », yon emisyon mizik varye, men sitou funk ak wòlbit (world beat) ak ipap Dji te konn anime. Mwen pat janm rate okazyon pou m koute andirèk depi Gonayiv emisyon sa. Lè pa gen kouran, mwen te konn achte pil epi ak kèk bon zanmi, mwen te konn fè baz anba galri lakay mwen pou nou koute nouvo mizik e kèk talan ki tap emèje.


Se sitou  a travè emisyon Rap Nation epi  Samedi en Folie Master Dji te pral louvri mikro pou plizyè ti jèn nan lane 1991, 1992 ak 1993 ki te anvi vin rapè oubyen chantè mizik raga pou yo te montre talan yo. Mwen sonje yonn nan fwa BOP te patisipe nan Samedi en Folie, li te freestyle yon mizik ki rele "A la Mode de Chez Nous" 

An 1992, Master Dji itilize estidyo pwodiksyon Radio Tropic FM pou fè kèk ti jèn li te dekouvri epi estime ki te gen talan nan epòk sa anrejistre premye albòm mikstép mizik rap ak ragga kreyòl ke Dji li menm te voye bay plizyè radyo an Ayiti.

Sou premye mikstep sa, Ayiti ta pral dekouvri yonn nan premye gwo rapè Ayisyen ki se Teddy Fresh ki te rape 2 mizik sou mikstep sa (seropozitif epi Boone Boone Boone). Sou menm mikstep sa, Master Dji te sèlman rape yon sèl mizik ki te gen pou tit "Tèt chaje". Te gen tou sou premye kasèt sa lòt talan nòmal tankou Elylrac, Frantzy Jamaican, Supa Deno & T-Bird, Trezò, Jah Yeye, Mikanor, epi ti gwoup ke Top Adlerman te ladann alepòk, etc... Malerezman yon ti tan aprè mikstep la te sòti Master Dji te oblije radye Teddy Fresh pami mesye yo aprè yon ensidan malere pandan retransmisyon an dirèk sou TNH ki te pwouve Teddy te derespektan anpil.

Nan mitan tout ti jèn alepòk, ti albòm mikstép sa fè tèlman siksè, toudenkou tout timoun, tout jèn te gentan gen foli rapè. M pap kache di nou ke mwen menm tou te pran viris rap la. M te menm gentan gen non rapè m Power Zo. Donk avan m te vin Mingolove, m te Power Zo. Men akoz de paran m ki pa t vle, m te oblije boule foli sa.


Fòk m raple tou ke premye espektak ke rapè ak chantè ki te sou mikstep la te fè an piblik, se te nan oditoriyòm Kolèj Sen Lwi Gonzag lavil la an 1992???  Anndan oditoriyòm lan te plen tankou ze. Jenès la ki te swaf anbyans sa fete, monte sou chèz, ponpe... se te yon evènman san parèy ki te montre ti mesye Master Dji ak rapè e chantè ragga ke piblik la te anvi anbyans sa.

Gwo bout siksè ti albòm mikstép sa te fè ta pral fè Master Dji reyalize jenés la swaf yon nouvo son, sitou nan epòk sa te gentan gen plizyè atis rege jamayiken ak kèk atis rap fransè tankou Mc Solar, Tonton David, King Daddy Yod ki tap mennen epi mizik yo t ap pase tout tan sou plizyè radyo an Ayiti. Dabò Master Dji fonde Rap Kreyòl SA ki te dwe yon labèl pou pwodui e pwomote mizik rap ak ragga Ayisyen. 

Ebyen aprè tout fenomèn ti mikstep sa fè, Master chwazi kèk nan mesye ki te plis gen talan ak disiplin ki te avèk li yo pou li anrejistre yon vrè albòm. Pou yon rezon nou inyore, lè Dji te deside anrejistre albòm sa, li pa t fè apèl ak plizyè nan talan ki te sou mikstep la.

Master Dji te chwazi Supa Deno, T-Bird, Elylrac, Frantzy Jamaican, MC Storm, Trezò (yon ti gwoup ki te gen BOP, MC G, ladann) pou l fonde gwoup Haiti Rap & Ragga. Touswit yo te antre nan estidyo epi anrejistre premye "vrè" albòm rap ak ragga Kreyòl sou tit "Match la rèd".

Albòm "Match la rèd" la te sòti nan fen ane 1993. Epi menm kote a, tankou yon tanpèt, li anvayi moun. 

Mizik "Conscience noire", “Match la rèd”, “Manmzèl”, “Religion”, "Nègès lakay", "Sa fè m mal" te nan bouch timoun kon jèn. Nou te retwouve prezans Master Dji nan 3 mizik sou albòm sa, Manmzèl li te chante ak Supa Deno, Match la rèd ki gen patisipasyon tout gwoup la epi "Tèt  Chaje" ki se menm mizik li te sòti an 1984 sou tit "Un Samedi Soir" ke Dji te reprann sou albòm Haiti Rap & Ragga a sou nouvo tit "Tèt Chaje."

Touswit aprè sòti albòm lan, bwi kòmanse kouri ki di Master Dji malad epi eta sante li te kontinye dejenere. Sa pa t anpeche pou otan Master Dji te toujou kontinye anime emisyon radyo li epi menm pèfòme kèk kote ak Haiti Rap & Ragga. Li anrejistre 2 videyo ak gwoup la, videyo "Match la rèd" la epi answit videyo "Manmzèl" la li te anrejistre an dirèk pandan yon pèfomans gwoup Haiti rap & ragga. 

Finalman, sante Master Dji te vin pat pèmèt li ditou. Li te ale pran refij li lakay Manmi Sita (Madan Gaston) ki se matant e manman adoptif li. E se la ke Master Dji mouri Samdi 21 me 1994, alòske li te 9 jou pou li te gen 33 zan.

Gwo bri kouri ke se maladi sida ki touye li.

Men kèkleswa rezon lanmò an, Master Dji rete yonn nan pi gwo atis polivalan, yonn nan pi gran animatè ke peyi Dayiti bay; san nou pa bliye tou ke Master Dji te powèt, jounalist kiltirèl, DJ, dansè, aktè, prezantatè nan TV (Tele Haiti), pwomotè espektak e fondatè (papa) Rap Kreyòl.

M vle raple ke jou fineray Master Dji, tout Pòtoprens te tris. Elèv lekòl ak dlo nan je te ale swiv posesyon an, fanatik kon atis tap kriye, anpil moun pran kriz. Moun t ap bouskile yonn lòt pou yo te ka sèlman touche sèkèy la. Zanmi, fanmi, kolaboratè e konfrè laprès Master Dji yo te enkonsolab. 

Gwoup rap Haiti Rap & Ragga ke Master Dji te fonde te sòti yon grenn mizik omaj a lejand lan kèk jou a an fineray la kote yo te sèvi ak koral mizik W' ALE ki te sou albòm solo Master Dji a pou yo te fè mizik omaj sa. Francois Emmanuel Courtois Elyrac, Frantz Dorvil Frantzy Jamaican, BOP, Supa Denot te byen depoze sou mizik sa ki te rele W ALE KITE N

25 lane aprè, nou pa janm ka bliye potorik gason sa ki te enpoze Rap kreyòl bay moun an Ayiti e ki te ede anpil jèn etale talan yo. 



KREDI:
Otè: Miguel Romain ( Mingolove Romain)
Rechèck ak redaksyon tèks la
Foto : Sous enkoni (nou pa konn ki fotograf ki te fè l)

Lòt moun ki kontribye nan enfòmasyon yo: Christophe Christopher Simeon , Ralph Delly,  Marc Exavier, Alex Abellard ak Eliacim Abolassen

samedi 10 mai 2025

Haïti/Musique: Coupé Cloué, la légende centenaire (1925-2025)

 Coupé Cloué, 100 ans !


Jean Gesner Henry, alias Coupé Cloué, aurait eu exactement 100 ans ce 10 mai. Artiste complet, il a marqué l’histoire musicale d’Haïti avec une trentaine d’albums et conquis le public africain grâce à un style inimitable.

Né le 10 mai 1925 dans une famille modeste à Fondwa, localité proche de Léogâne, Jean Gesner Henry entre à l'âge de neuf ans à la capitale, pour s'installer au Portail Saint-Joseph puis au Bel-Air. Il fréquente d'abord l'école Chez Laroche, rue du Centre, puis passe quelques années au Lycée Pétion, avant d'intégrer le Centre des arts et métiers, où il apprend l'ébénisterie tout en se mettant à la musique, découvrant d'abord la trompette et s'initiant à la guitare qui deviendra son instrument de prédilection.

Passionné de football, il évolue d'abord au sein d’un petit club avant de rejoindre le Hatuey Bacardi. En 1951, il est l'un des membres fondateurs de l’Aigle Noir AC, lorsqu'un groupe de joueurs issus du Bacardi, sous la houlette de Marc Élie, s'associèrent pour donner naissance à ce nouveau club de football.

C'est sur les terrains de football que naît son surnom légendaire. Son style de jeu unique, caractérisé par sa capacité à "couper" la vitesse d'un ballon en pleine course et à le "clouer" d'un coup de pied magistral, impressionne supporters et adversaires. Ses coéquipiers commencent alors à l'appeler "Coupé Cloué" - un sobriquet qui le suivra toute sa vie et marquera l'histoire de la musique haïtienne.

Parallèlement au football, Jean Gesner Henry développe sa passion pour la guitare. En 1951, il se lance dans les sérénades, comme le voulait la mode de l'époque. Après une mésaventure avec la mère de sa petite amie, il abandonne cette pratique mais continue à perfectionner son jeu de guitare.

Puis, Jean Gesner Henry décide de se consacrer entièrement à la musique. En septembre 1957, il transforme le petit groupe "Trio Crystal" avec Georges Célestin, René Delva et André Cérant, en "Trio Sélect".

Leur première apparition publique a lieu au prestigieux Théâtre de Verdure, en première partie du Jazz des jeunes. Dans sa dernière interview, accordée au journaliste Fritz Gérald Calixte en 1994, Jean Gesner Henry évoque cette première prestation marquante: « C'était en 1957, nous étions en lever de rideau pour le Jazz des jeunes. Le public a fait notre connaissance grâce à Radio Caraïbes, qui était l'unique canal de diffusion de la musique à cette époque. »

Le succès et la naissance d'un style unique

Le début des années 1960 marque une période d'expansion pour le Trio Select, qui commence à se produire régulièrement au Cric Crac Ciné, au Club Bamboche et au Jardin de la Citadelle. La formation musicale se forge progressivement un public fidèle.

À la fin des années 1960, l'arrivée du chanteur Luc Raphael Benito donne une nouvelle dimension au groupe. Des chansons comme "Juge", "Plen Kay", "Chada" ou "Socis" commencent à inonder les ondes radiophoniques. La voix distinctive de Coupé Cloué devient l'une des plus reconnaissables du paysage musical haïtien, malgré l'émergence du mouvement mini-jazz.

En 1971, le Trio enregistre "Plein Caille", un premier album sorti sous le label Marc Record, qui permet au groupe de se procurer une guitare électrique.

L'année 1973 marque un tournant décisif. Au club L'Anolis Vert de Thomassin, le Trio Sélect devient Ensemble Sélect, une décision stratégique qui s'avère judicieuse. L'arrivée de musiciens talentueux comme Prosper Saint Louis à la basse, Jean René Pétion au bongo et Colbert Désir aux congas contribue grandement à l'essor du groupe.

En mars 1974, de retour d'une tournée américaine, l'Ensemble Sélect s'enrichit de nouveaux talents: le chanteur Edner Salomon dit "Ti Blanc", les guitaristes Rigal Jean Baptiste et Moïse Jean, le congaman Serge Bernard "Ti Aigle" et le batteur Ernst Louis "Ti Nès". Cette nouvelle formation revisite des chansons comme "Saint Antoine", "Yeye" et "Chanm Gason" en y intégrant des éléments humoristiques.

C'est à cette époque que se cristallise le style unique de Coupé Cloué, caractérisé par ses plaisanteries et un rythme inédit basé sur le jeu des bongos et des congas. Rolls Lainé, neveu de Jean Gesner Henry, définit le son distinctif du konpa manba comme la combinaison du bongo de Jean René Pétion, du kata de l'Hayat d'Ernst Louis, de la basse de Daniel Dalcé et du tambour de Serge Bernard. À cette base rythmique s'ajoute ce qu'il appelle "la sauce à la saveur soukous" de Bellerive Dorcelian à la première guitare et de Rigal Jean Baptiste à la deuxième.

Consécration africaine

Fin 1976, l'arrivée d'Assad Francoeur, l'un des meilleurs chanteurs et compositeurs du groupe Super 9, propulse l'Ensemble Select vers de nouveaux sommets. Sa contribution (44 chansons au total) diversifie le répertoire du groupe avec des ballades comme "Marie Jocelyne", contrastant avec le style plus provocateur de Coupé Cloué.

« Après la sortie des albums « M ap di » en 1975, « Marie Claire » en 1976, et le succès des chansons comme « Miyan Miyan », « Marie Jocelyne » composées par Assad Francœur et « Yeye » par Jean Gesner Henry, le groupe a véritablement connu son envol », rapporte Pierre Phaill Goudou dans un article du Nouvelliste.

À la fin des années 1970, la renommée de l'Ensemble Sélect franchit les frontières haïtiennes. Le groupe se produit dans plusieurs villes d'Amérique du Nord, dans de nombreux pays des Caraïbes et en France. En 1978, à la suite d'une tournée triomphale dans plusieurs pays d'Afrique, Coupé Cloué gagne le surnom de « The Preacher » (Le Prêcheur). Il affectionne d'ailleurs porter lors de ses spectacles les boubous, ces amples tuniques traditionnelles africaines, signe de son attachement profond à ce continent.

En décembre 1979, il entreprend une nouvelle tournée africaine, marquant la consolidation d'une relation privilégiée avec le continent. C'est particulièrement en Côte d'Ivoire que Coupé Cloué reçoit un accueil triomphal, au point d'être couronné "roi" - un titre qu'il conservera toute sa vie.

Son succès en Afrique s'explique en grande partie par sa capacité à marier habilement la musique haïtienne avec le soukous africain, créant ainsi une sonorité particulièrement attrayante pour le public africain.

« Si Tabou Combo est le groupe musical haïtien le plus international, Coupé Cloué est le musicien haïtien le plus populaire sur tout le continent africain, 26 ans après sa mort, » affirme Goudou.

Sa ressemblance physique avec le saxophoniste camerounais Manu Dibango renforce cette connexion avec l'Afrique. Jean Gesner Henry caressait d'ailleurs le rêve de rencontrer et de collaborer avec son "sosie", un souhait également exprimé par Dibango, mais que le destin n'a pas permis de réaliser.

Un style inimitable face aux mutations musicales

Dans les années 1970-1980, alors que de nombreux groupes haïtiens s'inspirent des sonorités franco-caribéennes en intégrant des sections de cuivres, Coupé Cloué maintient obstinément son style unique. Cette résistance aux influences extérieures devient sa marque de fabrique et contribue à son succès durable.

« L'Ensemble Sélect du roi Coupé Cloué a résisté à l'une des plus fortes influences subies par tous les groupes compas (mini-jazz) au milieu des années 1970 », souligne Goudou. Ce positionnement musical distinctif porte ses fruits: dans les années 1980, Coupé Cloué devient le « champion du défilé du Carnaval d'Haïti » avec la chanson « Roi Coupé ». À la fin de cette décennie, son répertoire est si riche en succès qu'il devient impossible pour les radios de satisfaire toutes les demandes des auditeurs.

Guitariste, compositeur, chanteur et vocaliste, Jean Gesner Henry était un artiste complet dont les costumes de scène, les pas de danse et les « prêches » - ces discours improvisés entre les chansons - faisaient partie intégrante du spectacle. Lors de ses prestations télévisées comme au Top Jeunesse en 1985, il n'hésitait pas à se mettre en scène avec humour, se coiffant en public alors qu'il était chauve.

Souvent critiqué par certains secteurs pour sa façon jugée libertine de traiter les questions de sexualité et les relations entre hommes et femmes, il était en revanche adulé par d'autres pour son sens de l'humour et son imagination fertile dans la présentation d'histoires sentimentales ou de faits considérés comme tabous. Loin de se considérer comme un misogyne, Coupé Cloué défendait sa démarche artistique : « Je ne suis pas misogyne, j'aime bien les femmes. Très souvent ce sont les femmes elles-mêmes qui viennent me trouver et me raconter des histoires et des faits. Elles me demandent de les traduire en musique. Je ne milite pas contre les femmes », avait-il confié longtemps avant sa retraite.

Vantz Brutus, qui a consacré son mémoire de licence en communication sociale à l'image de la femme dans les chansons de Coupé Cloué, souligne que « la dérision et l'ironie sont très perceptibles dans les interprétations de Coupé Cloué sur la femme ». Dans une interview accordée au Nouvelliste en 2008, il rapporte les propos d'Ernst Louis, frère de Gesner Henry et batteur du groupe : « C'est le business qui voulait ça. Les chansons consacrées à la femme sont celles qui rapportaient le plus.»

Au début des années 1990, malgré l'émergence des groupes "digital", Coupé Cloué conserve son originalité et reste l'un des artistes les plus actifs de la scène musicale haïtienne. Cependant, le décès de plusieurs musiciens et le départ d'autres vers l'étranger affectent progressivement la dynamique du groupe.

En 1993, l'Ensemble Select sort l'album "Sa ki pou ou" sous le label Melodie Makers, incluant la chanson "Donki", arrangée par Dadou Pasquet et Laurent Cicéron. C'est à cette occasion qu'est réalisée la seule vidéo officielle de Coupé Cloué, où l'on peut déjà percevoir les signes du vieillissement et de la maladie.

Les années suivantes, gravement affaibli par le diabète qui le rongeait depuis plus de trois ans, Jean Gesner Henry réduit considérablement ses apparitions publiques. En 1997, il est honoré à la Brooklyn Academy of Music de New York, où le producteur d'Haïti Focus lui décerne le « Lifetime Achievement Award ». La même année, une cérémonie télévisée en Haïti célèbre sa contribution exceptionnelle à la musique nationale.

Un héritage difficile

Jean Gesner Henry fait sa dernière apparition publique significative au Club International le 29 décembre 1997, où il fait officiellement ses adieux à ses fans après 40 années de carrière musicale. Lors de cette soirée émouvante, marquée par l'absence remarquée de nombreux artistes, « le roi Coupé » apparaît visiblement affaibli. Il ne parvient qu'à prononcer quelques bribes de phrases, pour la plupart incohérentes, devant une assistance dont certains proches ne peuvent retenir leurs larmes. Un mois plus tard, le 29 janvier 1998, le "roi Coupé Cloué" s'éteint à l'âge de 73 ans, laissant derrière lui une trentaine d'albums et un style musical unique.

Remarié, père de sept enfants, Jean Gesner Henry menait une vie modeste à Delmas 7, loin du faste que son statut d'icône musicale aurait pu lui offrir.

Depuis sa disparition, plusieurs tentatives ont été faites pour maintenir vivant l'héritage musical de Coupé Cloué, mais aucune n'a véritablement réussi à reproduire la magie originelle. Carlo François, dit Carlito Coupé, a tenté l'aventure avec deux albums, dont le premier réunissait sept musiciens de l'Ensemble Sélect, mais cette initiative n'a pas perduré malgré le succès de la chanson "Boujon Bourjolly".

D'autres formations comme Sweet Sélect, Sweet Coupé, Coupé Plus, Logic Mamba et Logic Select ont également essayé de perpétuer le konpa manba, sans parvenir à s'imposer durablement. Même les efforts de Jean Gesner Henry Junior (Coupé Cloué Jr) pour assurer la relève paternelle ont été brutalement interrompus par son assassinat le 26 mai 2015 à Delmas 9.

« La stratégie de différenciation de l'Ensemble Select du roi Coupé Cloué a été si bien définie et si bien travaillée que 26 ans après sa mort, personne n'a réussi même pas à l'imiter », constate Goudou. « Il semble que seul Jean Gesner Henry en avait le secret. Son œuvre est pure génie. Produit aussi d'un génie. »

Bien que souvent réduit à ses chansons sur les femmes, le répertoire musical de Coupé Cloué était en réalité beaucoup plus varié. Comme le souligne Vantz Brutus dans son interview : « Le répertoire musical de Coupé Cloué est très varié, bien qu'il soit incontestable d'affirmer que la thématique femme occupe une place prépondérante. Mais outre la femme, l'Ensemble Sélect Coupé Cloué a traité de spiritualité ("Ogou Feray", "L'Évangile", "Imploration", "Papa Loco", "Gangan ti manga"). Il aborde des sujets sociaux dans "SHADA" ou "Café", prêchant l'harmonie sociale dans "Antann pou n antann nou", "kolabore" ; mais aussi traduit le quotidien difficile des gens d'origine modeste ou la misère en Haïti : "Lavi vye nèg", "Message", "Espoir", "Noël sans lune". »

Ce chercheur note également que « le répertoire comporte aussi des titres traduisant la joie de vivre en Haïti ("Deux jours à vivre", "Miyan-Miyan", "Somos feliz"). Le groupe rend hommage à l'amitié ("Bon zanmi"), revendique l'identité culturelle ("Sa ki pou ou", "Couci Couça"), s'en prend aux hommes radins dans "Gason kolon" et enfin plusieurs titres sont consacrés à l'autoglorification ("Vie Dimension", "34e anniversaire", "Souvenir d'enfance", "Roi Coupé").»

Selon Brutus, « Gesner Henri est à plusieurs niveaux génial ; que ce soit en tant que parolier, compositeur ou interprète, mais aussi en tant que narrateur ou conteur. Car l'originalité de l'Ensemble Sélect tient avant tout à son rythme original à mi-chemin entre la musique des troubadours traditionnels haïtiens et la musique dansante haïtienne, le compas direct. » Il souligne également « l'apport de Gesner Henri en tant qu'improvisateur qui dit des sermons à l'eau de rose : croustillants et farcis de détails suggestifs et hilarants sur fond musical. Magicien et célèbre jongleur, il fait naître des sonorités et des images évocatrices dans la manipulation des mots et l'utilisation d'onomatopées dont il a le secret. »

À l'occasion du centenaire de sa naissance, Jean Gesner Henry apparaît comme l'une des figures les plus authentiques et originales de la musique haïtienne. Son refus des modes passagères et sa fidélité à son style unique lui ont permis de traverser les époques et de marquer durablement notre patrimoine.


Crédit Texte: Claudel Victor 

mercredi 5 février 2025

Vie et carrière de Wébert Sicot, l’autre papa du konpa


2025 est une année de commémoration musicale : quarante ans se sont écoulés depuis le départ de Wébert Sicot et de Nemours Jean-Baptiste, et soixante-dix ans depuis la naissance du konpa. Compositeur d'exception, fondateur du cadence rampa, le maestro Sicot maîtrisait de nombreux instruments – de la flûte à la guitare, en passant par la trompette, le tambour, la basse, le trombone et divers saxophones (alto, ténor, baryton). Cette semaine, à travers deux articles, nous vous invitons à redécouvrir sa vie, sa carrière et son héritage.

Né le 14 avril 1930 à Port-au-Prince, Wébert Sicot grandit dans une famille de six enfants, aux côtés de Raymond, André, Yvonne, Paulette et Anne. La mère, Dormélia Casimir, commerçante et vodouisante, baigne ses enfants dans un univers musical dès leur plus jeune âge. Dans un article sur le site Internet d’Adrien Berthaud, la fille aînée de Wébert, Ginette Sicot Saint-Juste, suppose que cette exposition constante à la musique a influencé probablement les talents de ses oncles et de son père.

Wébert découvre son premier instrument, la flûte, au collège Simon Bolivar, après avoir remporté un concours scolaire. Il approfondit ensuite son apprentissage musical grâce à Gérard Dupervil qui lui enseigne le solfège, avant que son frère Raymond ne prenne le relais. Selon le livre “Tambours frappés Haïtiens campés” d’Ed Rainner Sainvil, sa formation s’accélère à la Maison Centrale des Arts et Métiers, sous la tutelle du légendaire Augustin Bruno, surnommé "le manchot des casernes Dessalines". C’est là qu’il découvre le saxophone alto, instrument qui deviendra sa signature. Dès l’adolescence, il côtoie des musiciens expérimentés comme François Guignard, qui le recommande, avec son frère Raymond, à Claudin Toussaint. Ce dernier les embauche dans son "Jazz Capois", marquant ainsi leur début professionnel.

L’ascension d’un maestro

Sa carrière prend son envol avec des passages remarqués au "Jazz des Jeunes" et à "L’Orchestre Issa Saieh", avec lequel il enregistre un disque. En 1955, il cofonde le "Conjunto International" avec Nemours Jean-Baptiste, Anilus Cadet et Julien Paul au chant, Mozart Duroseau à l’accordéon, Kreutzer Duroseau au tambour, Monfort à la contrebasse. Dans cet orchestre Nemours Jean Baptiste et Wébert Sicot eux-mêmes sont au saxophone. Leur première prestation a lieu le 26 juillet 1955 chez Maguy, lors de la fête paroissiale de Sainte-Anne.

Cependant, la collaboration entre Nemours et Sicot devient conflictuelle. Wébert quitte alors le groupe et rejoint l'Orchestre du Casino International. En 1957, il part en Italie, où il se produit avec Joe Trouillot et Roro Baillerjou, mieux connu sous le nom de Ti Roro. Après plusieurs mois en Italie, il se rend à Miami pour approfondir ses connaissances musicales et perfectionner son style.

De retour à Port-au-Prince en 1959, il dirige l’Orchestre Latino et fonde avec son frère La Flèche d’Or. Puis, le 22 août 1960, il crée son propre ensemble, l'Ensemble Wébert Sicot, qui introduit la "Cadence rampa". Il y réunit des musiciens tels que Rigaud Fidèle, Pinchinat, Eddy Prophète, André Dorismond, Cailloux Frank, Gary French, Napoléon, André Désrouleau, Edva Lafontant, Souffrant et son frère Raymond. Leur premier album, Haitian Meringues, rencontre un vif succès et introduit des variations rythmiques enrichissant le compas direct.

En 1964, un match de football est organisé entre l'Ensemble Wébert Sicot et l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste au stade Sylvio Cator. L’affrontement entre les musiciens des deux formations, se terminant sur un match nul (1-1), sous la pluie, conformément à la prédiction de Raoul Guillaume dans sa composition Compas-Rampa. Selon ses fanatiques, cet événement consacre Sicot comme le "Pelé d'Haïti".

Nouveaux horizons

À partir de 1967, l’influence du konpa direct et de la cadence rampa diminue face à la montée des groupes comme les Shleu Shleu et les Ambassadeurs. Dans un contexte politique tendu sous le régime de François Duvalier, confronté à des difficultés financières, Sicot quitte furtivement Haïti pour New York en 1968. Il y monte l'Orchestre Le Jeune avec Charles Delva et Duffont Mayala et se produit dans les cabarets de Brooklyn et Manhattan. Il enregistre Just for You, un disque instrumental avec des membres d’Ibo Combo de New York, et collabore même avec le grand orchestre de CBS, démontrant son talent dans un environnement hautement professionnel.

En 1972, il retourne en Haïti pour fonder l’Orchestre Wébert Sicot et tenter de reconquérir son public. Il collabore avec le groupe Zotobre de Serge Rosenthal et intègre l’Orchestre de la Radio nationale sous la direction de Raoul Guillaume.

En 1977, il participe au carnaval, prouvant qu'il n'a rien perdu de sa passion. Pendant le défilé, à l’angle des rues Monseigneur Guilloux et Oswald Durand, tout absorbé par sa performance, il est éjecté de son char par une branche d’arbre. Malgré cet incident, il continue d’enregistrer des albums marquants comme Wébert Sicot, The Greatest et L'Union, un ultime hommage à sa rivalité artistique et à sa réconciliation avec Nemours Jean-Baptiste.

Toutefois, sa santé se détériore. Un jour, emmenant son fils malade à l'Hôpital général, il est confronté à l'indifférence du personnel. Rongé par la colère et affaibli par des problèmes cardiaques, il s’éteint le 4 février 1985, en pleine période carnavalesque.



Crédit: Claudel Victor

lundi 28 août 2023

Première équipe féminine de Football en Haïti, 1973.


Première équipe féminine de Football en Haïti, 1973.

Nos Grenadières:

Marie Louise Gauthier, Gladys Laurent. GABRIEL  beauvais,  Rose Irene Verdier, Rosana Germain. Jacqueline Gauthier, Kettly Mondesir, Nella Joseph

Visage Mesidor,  Marie Carme Devilme,  Béatrice Cantave, Michèle Etienne   Micheline Joseph. Élsie Jolicoeur, Marie Antoinette Gauthier, Jessie Gresseau.

mardi 11 juillet 2023

Un Mapou est tombé: Pascal Albert !

"Pascal Albert né le 29 Octobre 1945.

    Un Géant de la musique haïtienne est tombé, âgé seulement de 77 ans, sans aucun signe de maladie; marié depuis plus de 50 ans avec la belle et gracieuse fille Jessie Sibilia, laquelle lui a donné deux fantastiques enfants “Clifford et Ayesha“.

    Subitement Pascal Albert est passé à l’Orient Éternel, à 5:30 am, ce samedi 8 juillet 2023. 

   Hélas, que sommes nous devant la Mort?   Le plus grand phénomène de la vie! 

Pourquoi nous ne pouvons pas nous y habituer avec ce drame dévastateur? 

Chaque fois que la Mort se présente, elle traîne toujours avec elle “Tristesse et Détresse!”                    

Pourtant Pascal, durant son court passage sur cette terre n’a jamais cessé de semer la joie et la gaieté au monde et plus spécialement au cœur de tous les haïtiens sans distinction à travers ses chansons.                    

En tant que membre de la famille, je présente mes sincères condoléances à sa femme Mme Jessie Sibilia Albert, ses enfants Cliff et Ayesha son beau-frère Mr John Sibilia, ses belles sœurs Nicole, Josee et Suzye ma femme et à toute la famille Albert en général.

 Pascal, l’heure a sonné pour regagner ta vraie et dernière demeure, nous prions le grand Jehovah, dans sa grande compassion de t’accorder une seconde de joie dans son royaume…

Bon voyage mon frère (peace and love!!!)."    


 Crédit: JMN


Maintenant,  je vous invite à écourter mon ami-frère, la légende de la musique haïtienne qui vient de nous laisser: Pascal Albert,✝️🙏 dans ses œuvres, avec le groupe mythique "DP Express"...

Grâce👇

DP Express + Pascal Albert - Grace

lundi 22 mai 2023

Qui était Nemours Jean-Baptiste?

Nemours Jean-Baptiste naquît le samedi 2 février 1918 à Port-au-Prince et drôle de coincidence, décéda le samedi 18 mai 1985 à Port-au-Prince. Qui était-il vraiment?

Musicien créatif, chef d’orchestre, compositeur. C’est aussi l’inventeur patenté du « Konpa dirèk », le rythme urbain, contemporain le plus célèbre du terroir.

Nemours est sans doute la figure la plus emblématique, la plus adulée et, aussi la plus controversée de la musique haïtienne moderne. Et pourtant, comme tous les grands de toutes les époques et de partout; il n’avait qu’une idée, faire de la musique. Et même s’il s’est révélé parmi les plus doués de sa génération, il sera ainsi dans la foulée d’une pléiade d’innovateurs. Il est aussi le baroudeur chargé de déblayer le terrain pour se placer impérialement à l’avant-garde d’une époque sans précédent, d’où il a su mettre en oeuvre son génie pour gratifier du « konpa dirèk », le plus dansé des rythmes urbains du terroir.

Ainsi différemment des: Chuck Berry, Little Richard etc.., ces initiateurs du rock & roll qui se sont fait approprier de leur invention, Nemours lui-même assuma la responsabilité de sa progéniture dès les premiers balbutiements. Même si son impact fut aussi minimisé par ses compétiteurs de l’époque, jaloux sûrement qu’il leur ait volé la vedette; cherchant même à confondre astucieusement le public sur la vraie origine du « compas-driver ». Durant la deuxième décennie du 20e siècle, un nouveau roi naquit à la rue des Fronts Forts. Quartier d’anciens combattants, chevaliers sans peur, sambas et simbies, conquérants et aspirants. Et d’un pionnier de souche, en effet l’ombre de Mr François Guignard, maître musicien, domine le voisinage du petit Nemours. Car entre ses multiples responsabilités familiales, « Père Guignard » s’attale aussi à la revalorisation de la musique de climat, avec son groupe bastringue. C’est encore un instructeur scrupuleux, musicien polyvalent et un initiateur d’envergure qui fabrique un petit banjo, qu’un seul gosse de la cour a eu l’audace de jouer. C’est Nemours, proche ami de son fils aîné Félix « Féfé » Guignard.


Son père cordonnier travaille pour l’éduquer en compagnie de son frère Monfort et de sa soeur Altagrace. Entre temps, l’adolescent Nemours s’applique aux études et pratique occasionnellement le métier de coiffeur. Tout en continuant avec « Féfé » un duo de trouvères, doté de banjo et d’accordéon qui s’en va sérénader différends recoins du pays. Il continue à traîner dans l’entourage du “Jazz Guignard” attendant son heure, où il côtoie copieusement le guitariste Antoine Duverger, le saxophoniste Victor Flambert et des proches comme Antoine St Armant et Chadavoine. Ses randonnées buissonnières l’emmènent aussi aux Cayes dans un bref « stint » avec le groupe de Barrateau Destinoble pour lequel il gratte les cordes. Il en profite sous le contrôle de ce dernier de continuer à familiariser avec le sax. Sa première initiative personnelle fut le “Trio Anacaona” avec lequel il prouve sa capacité de « strings man » (homme des cordes »). Mais déjà, il est plus intéressé à se montrer en souffleur, avec la possibilité de se mettre en vedette et d’être mieux rémunéré. L’occasion se présenta lorsqu’il est appelé à rallier l’ “Orchestre Atomique” avec son meneur le claviériste Robert Camille et son chanteur-vedette Joe « Atomik » Lavaud.

Malgré tout, il finit par s’imposer en maestro et, pour n’en vouloir faire qu’a sa tête, il est éjecté du groupe par un noyau constitué de son frère, le contrebassiste Monfort, sous la menée du trompettiste Kesnel Hall. Cette affaire tourna au chaud, lorsque,sous la demande d’un tribunal, le maestro novice rendit le sax alto qu’il avait confisqué. Amer, il s’en va former l’“Atomique Junior”. D’un coup, pistonné par Issa El Saieh, il atterrit dans l’“Orchestre Citadelle” dont il finit par abdiquer le contrôle. Inassouvi, il recrute Gérard Dupervil (voix et piston), son jeune protégé Wébert Sicot (sax, trombone) et entre autres, le superlatif Antalcidas Murat dans son fameux “Conjunto Internacional“, dans l’exploration des couleurs afrolationes.


Mais on est en plein coeur de l’épopée indigéniste et le groupe éclata après le désistement collectif dont fut responsable son grand ami Antalcidas Oréus Murat. Dès cet instant, il promit de faire des vagues à Antal et aussi à Saint Aude qui le lui a chipé pour le compte du “Jazz des Jeunes“. A l’étape subséquente, il s’associe à Jean Numarque, propriétaire de boite de nuits et homme-orchestre à ses heures, qui lui offre un cadre attrayant à Kenscoff, pour expérimenter de nouvelles approches. A ce carrefour, il se sert de Frank Briol, Julien Paul, Louis Lahens, Walter Thadal, les Frères Mozart et Kretzer Duroseau etc. Mais le succès ne se fait pas attendre et Nurmarque inaugure un nouveau night club à Mariani baptisé « Aux calebasses » avec son plafond au décor bucolique, fait de « calebasses » multicolorées, qui devint le fief du chef d’orchestre autodidacte, et d’un maestro désormais conquérant. Il y installe son “ Ensemble aux calebasses” déjà à l’entame de quelques flots.

Ce fut donc la conquête du  » danse kare » une variante de l’ancien carabinier, (cher au fondateur de la patrie), mué en méringue, à laquelle Nemours apporta d’autres innovations que les fans appelèrent tout simplement “rythme aux calebasses“. Mais qui ne fut rien d’autre que les premiers balbutiements du konpa dirèk. Nouveau rythme trépidant qui alla déboucher sur une symbiose du tempo ternaire de souche autochtone. Une meringue syncopée à subdivision binaire, d’orientation simplifiée, dite “une-deux“, sans aucune autre interférence d’une troisième mesure. La désignation de ce vocable pour identifier ce rythme fut pour la première fois utilisé par le trompettiste René Diogène venait consulter, concernant une partition difficile à appréhender. C’est alors que Nemours qui était présent, se vanta de sa nouvelle formule qui n’avait rien de compliqué, avec son utilisation du tambour, comme vecteur moteur. Diogène répliqua: toi tu n’a pas à t’en faire, tu ne joues que du « compas ». Ce que le maestro allait lui-même apprécier, en adoptant ce nom sur le champ. Autre innovation de Nemours: l’introduction du « Gong ». A la manière de la Grosse Caisse de musique bastringue par voie martiale. Il servait au découpage du tempo, le modifiant chaque fois qu’il tombait dans l’ornière. Tandis que le tambour exprimait la conception rythmique. L’identification tonale du 5/3, sans coda.

Nemours fut aussi le premier à intégrer les instruments amplifiés, dont la basse et guitare électriques, jamais encore utilisées dans le music hall local. Au lieu de célébrer ses innovations, ses concurrents le taxèrent d’imposteur. Mais, continuant allègrement son chemin, le maestro n’en démordit point, il était convaincu d’avoir trouvé les formules d’un public qui lui sut gré d’avoir livré la marchandise au moment opportun. En effet, dès 1955, le konpa était lancé à la conquête de toutes les couches sociales du pays. Entre-temps c’est la rupture avec Jean Numarque, et le maestro introduit pour la première fois son ensemble le 29 juillet 1955, sur la place Ste Anne. Flanqué de Kretzer, Mozart, Richard Duroseau Thadal, Tallès, Briol, R. Gaspard, Domingue, Napoléon, D. Boston, Lahens, P. Blain etc… Cependant, comme tout nouveau conquérant, il était sans cesse en butte aux assauts des compétiteurs. D’abord le “Jazz des Jeunes” qu’il avait lui même antagonisé parce que la bande à Saint Aude était d’un niveau supérieur, comme le ghota de la polyrythmie locale. Dans un répertoire constitué de: raboday, mayi yanvalou, pétro, banda, meringue, congo, boléro. Ainsi que dans des excursions exotiques. Puis de Wébert Sicot qui l’attaqua en premier, en voulant profiter lui même du momentum qui allait faire du konpa dirèk la vague dominante.

Contrairement à ce qu’avanceront les puristes, l’émergence du konpa fut une percée positive à une époque où la scène musicale haïtienne regorgeait de talents. Une abondance de grands musiciens et de groupes, tel le “Jazz des Jeunes“, explorait les richesses des rythmes ancestraux. Ainsi que d’autres groupes d’envergure comme: Le Riviera, El Rancho, Citadelle, El Saieh etc., qui rayonnaient d’excellence. Le konpa de Nemours vint freiner la vogue des musiques cubaines et dominicaines, toutes équipés de leur armada moderne qu’on dansait sans coup férir dans les salons. Car à l’époque, les groupes locaux n’enregistraient presque pas, alors que s’écoulaient sur le marché local, les vinyls, 78 et 33 tours des groupes latins divers tels: “La Sonora Matancera, Perez Prado, Celia Cruz le “Tipico Cibeano” de Angel Viloria avec son fandango; qui résonnaient des phonographes ou « pick ups » dominateurs des bals privés. Rejetant toute imitation servile, Nemours est allé au delà du folklorisme, avec une inclinaison marquée pour le show-business.

Une approche similaire à celle qui se dessinait à la même époque aux Etats-Unis où le rock & roll faisait ombrage aux tendances: jazz, soul, be-bop, blues etc. Ainsi, Nemours, musicien et compositeur de flair, multi-instrumentiste et showman, a vite compris tout cela, et bien mieux que personne. Il endigua le flot de paramètres d’outre-mer et, relégua à l’arrière-scène les meilleurs musiciens du moment. Comme saxophoniste, même s’il n’est pas de la catégorie des virtuoses, il se permettait quand même de longs solos, avec son sax ténor. Son jeu basé sur la justesse et la fluidité du tempo avec, de surcroît, les accommodements essentiels d’un apport mélodique et rythmique firent de lui un maestro et arrangeur complet.

Trainant allègrement, même à l’extérieur, il fit du konpa un rythme à part entière, au même titre que les multiples rythmes d’Haïti. Après avoir régné durant un lustre avec son orchestre, Nemours devait faire face dès la fin des années 1960, à la montée des mini-jazz, qui éventuellement lui ravirent son public jeunot. Ayant eu administré ce revers au “Jazz des Jeunes“, il savait plus que personne ce que c’était que d’être talonné par une nouvelle génération. IL l’avait d’ailleurs déclaré à Wagner Lalanne: « l’essentiel, c’est de savoir se retirer à temps ». Plutôt que de se faire emporter par la vague mini, il décida de s’expatrier à New York en 1969. Aux « States », il trouva une communauté en gestation, où Raymond et Wébert Sicot, Raoul Guillaume (en exil) les Duroseau: Mozart et Richard etc., avaient déjà fait leur nid. Il forma un combo qui fit les délices de ses anciens admirateurs immigrés et exilés. Notamment, au club « Casa Boriquen » de Brooklyn et « Casa Caribe » à Manhattan.

Il revint immédiatement au pays, usé, livré à lui-même, la vue endommagée. Il essaya tant bien que mal de reconstituer un groupe sous le nom de « Super combo », et se payait même le luxe d’un ultime succès avec le Marceau “Gason nou nan ka“. Mais ce ne fut pas le même enthousiasme chez les adeptes, et les sérieux problèmes économiques dûs à l’absence d’un système de retraite ou d’assurance, n’étaient pas pour arranger les choses. Quelques compatriotes essayèrent d’établir une souscription à son nom, dans le but de l’aider à couvrir les frais d’une intervention chirurgicale à l’étranger. Son ami et compétiteur des jours de gloire, Wébert Sicot, avec lequel il produisit un dernier album: « Union », l’accompagna dans cette dernière tentative de restaurer sa vision. Il finit néanmoins par sombrer dans la cécité. Ce monument de la musique haïtienne connut une fin marquée par les privations. La commercialisation de ses innombrables oeuvres aurait dû lui assurer une retraite paisible dénuée de tout souci matériel.


Hélas, ce compositeur prolifique a été littéralement pillé: groupe et artistes dominicains et porto-ricains ont interprété ses compositions, et la plupart n’ont même pas eu la décence de les lui accréditer. En léguant le konpa dirèk, Nemours traça un chemin qui l’a amené dans la légende de la musique nationale par la grande porte. A l’instar d’un Occilus Jeanty, le père de l’écriture orchestrale haïtienne, d’un A. Bruno, d’un J. Elie, ou encore d’un F. Guignard, d’un Saieh, d’un AntalCidas etc, il a été à la source de l’authenticité, de l’originalité et de la renaissance des rythmes natifs. Parmi tous ces géants qui ont montré la voie, Nemours fut l’un des plus déterminants.

Il apporta à la musique haitienne tant de décontraction, d’intelligence et de facilité que du moment où il apparut avec sa « marque déposée », il a été le plus calqué, le plus suivi de son époque. Pour avoir inventé la grandeur, le style et une identification musicale ambiante du terroir, il demeure un innovateur hors-pair, l’architecte du rythme urbain le plus populaire d’Haïti.


Cliquez ici pour écoutez Radio Nostalji-Ayiti LIVE depuis Pétion-Ville, Haïti 🇭🇹 



dimanche 26 février 2023

Jean-Robert Antoine : Le journaliste par qui le drame arriva.

Jean-Robert Antoine faisait partie de l’équipe de la salle des nouvelles de RGR Progrès, la station de radio dirigée par le défunt Gérard Résil.

« Accroché à la cime du lyrisme, je viens de terminer mon poème sur la panoplie des assassins, afin de calmer le spasme qui fait greloter mon corps d’ébène. J’ai rêvé d’être écrivain pour écrire en lettres majuscules les satires de mon pays avec l’épée de Damoclès qui a creusé sa fosse. Je ne joue plus sur ma guitare des airs de mardi-gras, depuis qu’«Octavius » a vendu les secrets de la bande de « Nan Palmiste » pour devenir fossoyeur. Nous avons changé de vocation. Avant de me coucher hier soir, j’ai vidé le liquide rouge de mon encrier dans la matrice d’une prostituée de Fort St-Clair. L’enfant de la promesse naîtra demain…! Cette « danse de Martinique » sauvage a trop duré dans mon village. »

Robert Lodimus 

(Méditions 3, Vers l’aube de la libération, 1980)

La nouvelle du décès de Jean-Robert Antoine survenu le mardi 28 avril 2020 a réveillé des souvenirs qui restaient endormis dans un coin de notre subconscient. L’ancien collègue qui faisait partie, comme nous, de l’équipe de la salle des nouvelles de RGR Progrès, la station de radio dirigée par le défunt Gérard Résil, homme de théâtre, professeur de phonétique et de diction au Conservatoire national d’art dramatique, a été foudroyé par le coronavirus qui terrorise le pays de Donald Trump. Notre camarade et ami Gérard Pricorne Janvier, qui vit lui-même à Chicago, nous a informés mercredi soir de cette tragique disparition. L’État de New York compte 20 millions d’habitants. Il est identifié comme l’épicentre de la pandémie aux États-Unis, avec un nombre de décès quotidiens qui bat tristement tous les records. Pour la seule journée du 9 avril 2020, 799 personnes ont été emportées par la maladie. Les autorités sanitaires observent aujourd’hui un ralentissement des cas de décès et de contamination.

JEAN-ROBERT ANTOINE AVAIT UN TIMBRE DE VOIX QUI VOYAGEAIT BIEN SUR LES ONDES. MAIS AUSSI UNE DICTION QUELQUE PEU FORCÉE.

Peut-être que le nom de Jean-Robert Antoine ne vous dit pas grand-chose! Ceux qui ont quitté le pays avant l’année 1977 auront effectivement du mal à se situer par rapport au personnage. Il en est de même pour les individus qui sont arrivés au monde après le départ pour la France du dictateur Jean-Claude Duvalier. Nous parlons de la période du déchouquage des macoutes qui ont ensanglanté le pays de 1957 à 1986, de l’égorgement des nazis de madame Max Adolphe ou Rosalie Bosquet, la sorcière de la Caraïbe, de l’exécution des bourreaux qui ont assassiné des milliers de compatriotes dans les prisons des casernes Dessalines et de Fort-Dimanche, pour assouvir la mégalomanie du grand-père vampire et du père abruti de François Nicolas Duvalier. Ce personnage arrogant, insouciant et audacieux,  – que cela soit dit en passant –, ne devait-il pas savoir qu’il serait extrêmement difficile, – même soutenu, appuyé, financé par les États-Unis, le Canada et la France –, que le nom « Duvalier » revienne troubler, hanter le sommeil et la paix de nos aïeux. Le pays d’Hector Riobé, d’Anne-Marie Bajeux, de Juanita Clermont, d’Adrien Sansaricq, d’Hélène Cirius, de Marcel Numa, de Louis Drouin, de Rosette Bastien, de Gasner Raymond, d’Ézéchiel Abellard, ne permettrait pas à la démence politique d’écrire encore une tranche de l’histoire d’Haïti avec des baïonnettes trempées dans le sang de notre peuple. Il y aurait eu des compatriotes, – et nous serions prêts à le jurer –, qui se seraient battus jusqu’au bout pour empêcher que l’horreur de 1957 ne se soit répétée sur le territoire de la République. Les prochaines joutes électorales, nous l’espérons bien, ouvriront de préférence les portes de l’État à des femmes et à des hommes politiques courageux, progressistes, capables d’installer Haïti dans le train de  grande « Révolution » mondiale que nous prônons dans nos réflexions sociales, nos analyses politiques et nos considérations économiques. C’est une « utopie démentielle » pour les rebuts de la dynastie duvaliérienne de penser parvenir à enjamber facilement le passé ensanglanté et de pouvoir se remettre en selle de la gouverne politique, sans que « la Nation leur demande des comptes ».

Durant 29 ans, cette famille de vautours n’a-t-elle pas pillé les caisses de l’État, emprisonné et torturé des compatriotes, mutilé des militants des droits humains, enlevé la vie à des citoyens opposés à la présidence de François et de Jean-Claude, qui s’apparentait à la monarchie sanguinaire d’Henri VIII ? Le roi des macoutes mourut le 21 avril 1971…! Et c’était encore, malheureusement, « Vive le roi des macoutes! » Avec l’intronisation du « prince », les masses populaires haïtiennes étaient replongées de plus belle dans le fleuve du « ridiculisme » politique. Nicolas François Duvalier, – qui semble même oublier le nom de l’établissement dans lequel il aurait effectué ses études secondaires –, serait-il à ce point amnésique?

Revenons à cette journée de l’année 1978! Le soleil glissait tranquillement vers l’ouest, dans un ciel clair et transparent. Jacques Stephen Alexis aurait lui-même écrit : « Un ciel bleu, sans une taie, sans une ride, sans une fissure… » L’intensité de la chaleur s’inclinait graduellement, afin de permettre au paysage couvert de sueur de se rafraîchir avec l’arrivée de l’Angélus. La rue Capois où se dressait la grande bâtisse qui logeait le lycée des jeunes filles fourmillait de passants bruyants. Comme des colonies de fourmis, les troupeaux humains circulaient dans les deux sens. De l’intérieur de l’établissement secondaire, on captait les voix joyeuses des fillettes et des garçonnets, accompagnés du père ou de la mère. Les enfants avaient sans doute hâte de retrouver leur logis après une journée harassante de classe. Nous étions encore au pays, – écrasé certes sous le poids pesant d’une dictature féroce –, où le chemin de l’école restait le plus long, mais le plus sûr des moyens pour les adultes de demain qui voudront gravir les strates de la mobilisation sociale. À cette époque, pas si lointaine, les parents misaient encore sur la réussite scolaire, la formation universitaire et professionnelle pour diriger leurs progénitures vers un avenir prometteur.

Le Conservatoire national d’art dramatique était logé à l’enseigne du lycée des jeunes filles de la capitale, et fonctionnait en seconde vacation. Ce soir-là, Gérard Résil exposait son premier cours pour l’ouverture de la session à une trentaine d’étudiants rassemblés dans une salle raisonnablement espacée. Nous interrompîmes le locuteur pour obtenir un éclaircissement des concepts de « phonétique » et de « phonologie ». Après une réponse éloquente et explicite, le professeur nous demanda de le rencontrer après le cours. Quelques jours plus tard, nous nous fûmes retrouvé à Radio Progrès, comme reporter et coprésentateur du journal du matin, en compagnie de Jean-Robert Antoine, Albert Semervil, Kettly Pamphile, Chérubin Dorcil, Gérard Pricorne Janvier, et tous les autres.

Jean-Robert Antoine avait un timbre de voix qui voyageait bien sur les ondes. Mais aussi une diction quelque peu forcée. Exagérée. Surtout lorsqu’il prononçait les « r ». Lui et moi rédigions et lisions de temps en temps des textes éditoriaux qui étaient diffusés aux émissions de nouvelles quotidiennes. Et parfois même repris dans l’un des bulletins horaires présentés par Lesly Tiffaut. Parmi les « médias martyrs », qui, au cours des années 1977-1980, s’affichaient ouvertement contre l’obscurantisme politique, on retrouvait Radio Progrès. Quoiqu’elle fût dirigée par un personnage douteux, sans conviction idéologique, elle était quand même le premier médium parlé à subir les agressions cruelles du gouvernement de Jean-Claude Duvalier.  La salle de rédaction au complet était fichée par le redoutable colonel Jean Valmé, – décédé en Haïti le 4 février 2016 –, à cause du discours antiduvaliériste qu’elle vulgarisait, qu’elle propageait.

Événements, causes et conséquences

Le 28 août 1979, Sylvio Claude, le président du mouvement politique dénommé « Parti démocrate chrétien haïtien (PDCH) » pénétra hâtivement dans les locaux de Radio Progrès situés à l’entrée Sud de la capitale. L’homme visiblement traumatisé, était sous le coup de la colère et de l’émotion. Libéré de prison depuis peu, des inconnus armés, qu’il associait à un escadron de la mort attaché au palais national, auraient tenté de l’assassiner dans sa résidence. « Ils ont failli me tuer. C’est par miracle que je suis encore en vie », répétait-il dans un état d’ébranlement psychologique. Il sollicita une entrevue en direct que Jean-Robert Antoine s’empressait de lui accorder. Les échanges entre le « journaliste inexpérimenté » et le « politicien irrationnel », profondément secoué, déstabilisé, s’enflammèrent dans l’espace exigu du studio. Sylvio Claude était devenu complètement hystérique. Le ton montait. Il fustigeait sans réserve la dictature. Dénonçait l’irresponsabilité, le cynisme, l’immobilisme des tenants du pouvoir.  « Dans les marchés publics de Port-au-Prince, les gens n’arrêtent pas de m’acclamer », affirmait-il. « Lorsqu’ils me voient arriver, ils se mettent tous à crier : « Vive Sylvio Claude! À bas Jean-Claude Duvalier ! » Kettly Pamphile et moi reprîmes l’entrevue le lendemain, dans le journal du matin. Au moment de la diffusion, le téléphone sonna. Le technicien affecté à la console de la régie de mise en ondes nous apprit que l’inconnu avait raccroché, sans prononcer un mot. Le même jour, dans l’après-midi, les SD de Jean Valmé passèrent les archives de la radio au peigne fin et emportèrent de force des documents sonores, notamment ceux qui avaient servi à la préparation des éditions de nouvelles de la matinée et du midi.

Le vendredi 31 août 1979, les gendarmes envahirent Radio Progrès. Ils menottèrent, ligotèrent avec des cordes le directeur général, les journalistes, les animateurs, les techniciens, les opérateurs, et même les visiteurs. Ils les firent monter dans les fourgons cellulaires et démarrèrent en direction des casernes. Une foule de curieux se formait pour observer la scène. Les personnes appréhendées, qui ne travaillaient pas à la radio, furent libérées sur le champ, après une séance d’interrogatoire serré, conduite par le commandant en personne. Tandis que Gérard Résil et ses employés étaient dirigés vers les cellules ombreuses où ils furent restés enfermés durant trois jours. La population apeurée et « zombifiée » n’avait pas réagi à cet acte indécent de barbarie politique. Plus tard, nous avions appris qu’il y aurait eu des mouchards dans le rang des salariés. Jean-Robert Antoine figurait parmi les collègues arrêtés et incarcérés. Les soldats étaient allés le cueillir chez sa fiancée qui habitait en face de son travail ? Deux rédacteurs du journal de Dieudonné Fardin, Le Petit Samedi Soir, Pierre Clitandre et Jean-Robert Hérard, présents sur les lieux au moment de la rafle, ne furent pas épargnés, malgré leurs cris de protestation. Après quelques jours, Le professeur Gérard Résil fut sommé par les autorités de la présidence de se présenter à la Radio gouvernementale (Radio nationale) où la canaille était forcée d’admettre et de confesser publiquement, sans hésitation, que tous les journalistes de la salle des nouvelles entretenaient l’idéologie marxiste-léniniste, et travaillaient effectivement à l’instauration du communisme en Haïti.

Ce triste événement fut-il relayé par les médias de la capitale ou du pays? Néanmoins, ce que nous savons : la peur devint contagieuse. Et elle s’installa partout. Radio Métropole, pour ne citer que celle-ci, semblait beaucoup plus préoccupée elle-même par un éventuel passage du cyclone David sur les régions de l’Ouest et du Sud d’Haïti. À l’antenne de la station fondée le 8 Mars 1970 par Herby Widmaier, l’éditorialiste et présentateur des nouvelles de 18 heures, Marcus Garcia, passait la nuit à informer la population sur les trajectoires éventuelles de l’ouragan et les dégâts matériels qui étaient déjà enregistrés à Port-au-Prince. Heureusement pour la population des bidonvilles qui habitaient dans des conditions précaires, il y eut plus de peur que de mal. Les prévisions météorologiques se révélaient inexactes.

Le lundi 3 septembre 1979, les prisonniers de Jean-Claude Duvalier et du colonel Jean Valmé furent conduits sous escorte au Parquet du tribunal civil de Port-au-Prince, pour être interrogés, cuisinés par le commissaire du gouvernement. L’affaire, fort heureusement, ne fut pas déférée devant le juge d’instruction. Il n’y avait pas de preuves suffisantes qui auraient permis de dénoncer, de prétexter un complot contre la sûreté interne de l’État : pour reprendre l’expression à la mode, en ces temps où les chiens de Titanyen se régalaient chaque nuit de la chair et du sang de nos compatriotes emprisonnés et exécutés sommairement. Les magistrats du Parquet décidèrent de libérer séance tenante les prévenus fatigués, harcelés et maltraités, arguant que l’entrevue avait été réalisée en direct, et que, par conséquent, il était tout à fait impossible pour eux d’anticiper les réponses incendiaires et les déclarations irascibles de l’interviewé. Sylvio Claude était devenu hostile à Jean-Claude Duvalier à la suite des élections à la députation du 11 février 1979. Il avait déclaré sa candidature dans la circonscription de Mirebalais, en face de la reine des Volontaires de la sécurité nationale (VSN), madame Marx Adolphe. Son « effronterie » lui avait valu des mois d’incarcération et des tortures physiques et morales. Il faut aussi signaler que le gouvernement avait cédé aux pressions des ambassades étrangères accréditées à Port-au-Prince, qui exigeaient l’élargissement sans condition de tous les prisonniers politiques du vendredi 31 août 1979. Cette date, comme vous pouvez le constater, est gommée du registre des mésaventures fâcheuses de la presse locale et internationale, piétinée, écrasée sous les bottes des États impérialistes, fascistes et barbares, qui assassinent les Droits naturels et Les Libertés individuelles.

Le dictateur Jean-Claude Duvalier ne respecta pas ses promesses envers Gérard Résil, le traître et le délateur de bas étage. Le gouvernement ne lui permit pas de reprendre possession de l’entreprise radiophonique. Ce dernier, il faut le souligner, n’en fut pas le propriétaire. RGR Progrès appartenait à un puissant duvaliériste qui était connu sous le prénom vague de Lucien. Ce dernier, – à la demande du palais national –, reprit son bien, pour le mettre à la disposition d’un nouveau locataire.

JEAN-ROBERT ANTOINE ACHETA UN ESPACE SUR UNE CHAÎNE DE TÉLÉVISION COMMUNAUTAIRE ET CONÇUT UNE ÉMISSION QU’IL DÉNOMMA « HAÏTI, PREMIÈRE CLASSE. »

Jean-Claude Duvalier réussit à étouffer le scandale de cette répression inusitée dans les régions caribéennes en ouvrant, – sous certaines conditions –, les portes de la Radio et de la Télévision nationale d’Haïti à tous les anciens membres du personnel de la RGR Progrès, – y compris les messagers –, qui avaient perdu leur emploi. Albert Semervil et moi décidâmes de rester au-dessus de la mêlée. Nous poursuivîmes notre carrière journalistique dans la revue Regard, –  fondée et dirigée par Guy César –, qui était une première fois interdit de fonctionnement sur le territoire d’Haïti. La seconde équipe de rédaction était aussi composée de Sony Bastien, Marvel Dandin et son épouse Yanick, Jackson Pierre-Paul, Morisson Charles, etc. Nous reviendrons, peut-être, sur l’aventure héroïque et le parcours houleux de « Regard », à l’époque du barbarisme politique jean-claudien.

Nos anciens collègues furent partagés entre la Radio et la Télévision d’État. Jean-Robert Antoine devint lui-même le concepteur et l’animateur d’une émission télévisée qui portait le nom de « Format 60 ». Limité dans ses réflexions économiques et politiques, il abordait de préférence les thèmes historiques et culturels. Car il ne faut pas oublier qu’il travaillait pour un médium consacré avant tout à la propagande gouvernementale.

Le bal étant fini le 28 novembre 1980, comme l’avait dit Jean-Marie Chanoine, le super ministre de l’Information de Jean-Claude Duvalier, nous prîmes le chemin de l’exil au Canada. Nous ne revîmes plus Jean-Robert Antoine, qui suivit notre exemple six ans plus tard, après la chute brutale du régime macoutique, le 7 février 1986. Là aussi, « le bal était fini ». Le journaliste déchu était parti à son tour, au moment où nous revenions nous-mêmes sur le sol de la patrie.

À New York, Jean-Robert Antoine tentait d’enfourcher à nouveau le cheval de sa profession. Il acheta un espace sur une chaîne de télévision communautaire et conçut une émission qu’il dénomma « Haïti, première classe. » Assisté d’une équipe réduite, au sein de laquelle on retrouvait le poète Gérard Pricorne Janvier pour la revue de presse nationale et internationale, Jean-Robert Antoine reprenait ses activités d’interviewer, de commentateur et d’analyste sur Chanel 41, à Brooklyn. Mais pour un temps vraiment court. L’initiative échoua. Les commanditaires, contrairement aux prévisions optimistes des principaux instigateurs de l’entreprise, n’offrirent pas leur soutien économique et financier à « Haïti, première classe ». Jean-Robert Antoine se recycla dans la vente des produits électroniques en magasin.

Nous avons écrit ce texte en observant certainement les lois morales de la réserve. Et puis, les circonstances s’y prêteraient mal. La mort de Jean-Robert Antoine nous aura permis, avant tout, d’effectuer avec vous une analepse, comme au cinéma, dans un monde hideux, qui soulève le dégoût et la révolte, qui évoque dans notre mémoire un passé construit sur des arpents de douleurs inextinguibles.


Crédit: Robert Lodimus