mercredi 5 février 2025

Vie et carrière de Wébert Sicot, l’autre papa du konpa


2025 est une année de commémoration musicale : quarante ans se sont écoulés depuis le départ de Wébert Sicot et de Nemours Jean-Baptiste, et soixante-dix ans depuis la naissance du konpa. Compositeur d'exception, fondateur du cadence rampa, le maestro Sicot maîtrisait de nombreux instruments – de la flûte à la guitare, en passant par la trompette, le tambour, la basse, le trombone et divers saxophones (alto, ténor, baryton). Cette semaine, à travers deux articles, nous vous invitons à redécouvrir sa vie, sa carrière et son héritage.

Né le 14 avril 1930 à Port-au-Prince, Wébert Sicot grandit dans une famille de six enfants, aux côtés de Raymond, André, Yvonne, Paulette et Anne. La mère, Dormélia Casimir, commerçante et vodouisante, baigne ses enfants dans un univers musical dès leur plus jeune âge. Dans un article sur le site Internet d’Adrien Berthaud, la fille aînée de Wébert, Ginette Sicot Saint-Juste, suppose que cette exposition constante à la musique a influencé probablement les talents de ses oncles et de son père.

Wébert découvre son premier instrument, la flûte, au collège Simon Bolivar, après avoir remporté un concours scolaire. Il approfondit ensuite son apprentissage musical grâce à Gérard Dupervil qui lui enseigne le solfège, avant que son frère Raymond ne prenne le relais. Selon le livre “Tambours frappés Haïtiens campés” d’Ed Rainner Sainvil, sa formation s’accélère à la Maison Centrale des Arts et Métiers, sous la tutelle du légendaire Augustin Bruno, surnommé "le manchot des casernes Dessalines". C’est là qu’il découvre le saxophone alto, instrument qui deviendra sa signature. Dès l’adolescence, il côtoie des musiciens expérimentés comme François Guignard, qui le recommande, avec son frère Raymond, à Claudin Toussaint. Ce dernier les embauche dans son "Jazz Capois", marquant ainsi leur début professionnel.

L’ascension d’un maestro

Sa carrière prend son envol avec des passages remarqués au "Jazz des Jeunes" et à "L’Orchestre Issa Saieh", avec lequel il enregistre un disque. En 1955, il cofonde le "Conjunto International" avec Nemours Jean-Baptiste, Anilus Cadet et Julien Paul au chant, Mozart Duroseau à l’accordéon, Kreutzer Duroseau au tambour, Monfort à la contrebasse. Dans cet orchestre Nemours Jean Baptiste et Wébert Sicot eux-mêmes sont au saxophone. Leur première prestation a lieu le 26 juillet 1955 chez Maguy, lors de la fête paroissiale de Sainte-Anne.

Cependant, la collaboration entre Nemours et Sicot devient conflictuelle. Wébert quitte alors le groupe et rejoint l'Orchestre du Casino International. En 1957, il part en Italie, où il se produit avec Joe Trouillot et Roro Baillerjou, mieux connu sous le nom de Ti Roro. Après plusieurs mois en Italie, il se rend à Miami pour approfondir ses connaissances musicales et perfectionner son style.

De retour à Port-au-Prince en 1959, il dirige l’Orchestre Latino et fonde avec son frère La Flèche d’Or. Puis, le 22 août 1960, il crée son propre ensemble, l'Ensemble Wébert Sicot, qui introduit la "Cadence rampa". Il y réunit des musiciens tels que Rigaud Fidèle, Pinchinat, Eddy Prophète, André Dorismond, Cailloux Frank, Gary French, Napoléon, André Désrouleau, Edva Lafontant, Souffrant et son frère Raymond. Leur premier album, Haitian Meringues, rencontre un vif succès et introduit des variations rythmiques enrichissant le compas direct.

En 1964, un match de football est organisé entre l'Ensemble Wébert Sicot et l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste au stade Sylvio Cator. L’affrontement entre les musiciens des deux formations, se terminant sur un match nul (1-1), sous la pluie, conformément à la prédiction de Raoul Guillaume dans sa composition Compas-Rampa. Selon ses fanatiques, cet événement consacre Sicot comme le "Pelé d'Haïti".

Nouveaux horizons

À partir de 1967, l’influence du konpa direct et de la cadence rampa diminue face à la montée des groupes comme les Shleu Shleu et les Ambassadeurs. Dans un contexte politique tendu sous le régime de François Duvalier, confronté à des difficultés financières, Sicot quitte furtivement Haïti pour New York en 1968. Il y monte l'Orchestre Le Jeune avec Charles Delva et Duffont Mayala et se produit dans les cabarets de Brooklyn et Manhattan. Il enregistre Just for You, un disque instrumental avec des membres d’Ibo Combo de New York, et collabore même avec le grand orchestre de CBS, démontrant son talent dans un environnement hautement professionnel.

En 1972, il retourne en Haïti pour fonder l’Orchestre Wébert Sicot et tenter de reconquérir son public. Il collabore avec le groupe Zotobre de Serge Rosenthal et intègre l’Orchestre de la Radio nationale sous la direction de Raoul Guillaume.

En 1977, il participe au carnaval, prouvant qu'il n'a rien perdu de sa passion. Pendant le défilé, à l’angle des rues Monseigneur Guilloux et Oswald Durand, tout absorbé par sa performance, il est éjecté de son char par une branche d’arbre. Malgré cet incident, il continue d’enregistrer des albums marquants comme Wébert Sicot, The Greatest et L'Union, un ultime hommage à sa rivalité artistique et à sa réconciliation avec Nemours Jean-Baptiste.

Toutefois, sa santé se détériore. Un jour, emmenant son fils malade à l'Hôpital général, il est confronté à l'indifférence du personnel. Rongé par la colère et affaibli par des problèmes cardiaques, il s’éteint le 4 février 1985, en pleine période carnavalesque.



Crédit: Claudel Victor

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