La musique haïtienne à la loupe
Depuis la rédaction magistrale d’« En écoutant Haïtiando
» en mars 2000 par l’ex-président Leslie François Manigat, l’article «
Toujou sou konpa » publié en juillet 2014 par Vincent Joos dans les
colonnes du quotidien port-au-princien Le Nouvelliste est, à mon goût,
le meilleur que j’aie lu sur la musique haïtienne. Puisque aucun écrit
humain n’est immuable comme la loi des Mèdes et des Perses, donc,
évidemment, je n’ai pas été d’accord avec tout ce que M. Joos a si
admirablement écrit. Alors, j’ai cru bon de jeter un coup d’œil de
manière positive et objective sur son texte.
Oui, cela vaut la peine de réagir favorablement à l’exposé de M. Joos,
surtout que j’ai toujours choisi de réagir en privé sur certains aspects
de la musique haïtienne, davantage quand je dois parler de « compas
direct ». La raison en est que, comme genre de musique du terroir, la
majorité de nos jeunes ne connaissent que celui-ci. Sur ce point,
personne ne peut leur adresser le moindre reproche, puisque depuis près
de six décennies, nos dirigeants, trop obsédés à s’accrocher au pouvoir
ou à en chasser d’autres, ont souverainement méprisé l’importance de
l’éducation culturelle et artistique dans la formation classique de nos
écoliers. Aussi nos jeunes gens pensent-ils que, à part le « compas
direct », notre pays ne dispose d’aucun autre genre dansant et dansable.
Ils ignorent malheureusement que nous possédons au moins 160 différents
types de musique, les uns plus dansants, plus dansables et plus
langoureux que les autres. On n’a qu’à penser à notre yanvalou et à
notre méringue, cette dernière étant notre musique nationale, selon les
enseignements de nos meilleurs musicologues, historiens de la musique,
musiciens, ethnologues et ethnomusicologues. Mentionnons, parmi ceux-ci:
Jean Fouchard, Constantin Dumervé, Justin Elie, Ludovic Lamothe, Dr
Franck Lassègue, Lamartinière Honorat, Raoul Guillaume, et j’en oublie.
Le lectorat pourra se reporter aux livres «Ciselures », « Histoire de la
musique en Haïti » et « La méringue: danse nationale d’Haïti »,
respectivement écrits par Dr Franck Lassègue, Constantin Dumervé et Jean
Fouchard.
Il est encore plus triste de constater que, depuis un certain temps, un
fort pourcentage d’Haïtiens, même parmi les sexagénaires, tend également
à confondre et à réduire la musique haïtienne au seul « compas direct
». Or, notre musique est multiséculaire, ayant vu le jour depuis les
cales sordides des navires négriers, lors de la traite transatlantique.
Qui mieux est, à part les danses et les chansons sacrées, nous comptons
aussi « les chansons quasi sacrées ou mi-profanes, mi-sacrées,
associées tantôt à des services religieux, tantôt à d’autres
manifestations de divertissement ». (Les danses folkloriques haïtiennes,
p. 48, Lamartinière Honorat). Des styles profanes comme le «rabòday »,
le « zizipan », le « yanvalou », le « pétro », la méringue sont aussi
dansants que le « compas direct » ou la « cadence rampa». Dans les
années 1950, l’Orchestre Issa El Saieh, le Jazz des Jeunes et
l’Orchestre Septentrional ne les jouaient-ils pas respectivement à
Cabane Choucoune, au Raisin Vert et à Rumba Night Club? Nos paysans,
pour se divertir, ne dansaient-ils pas le menuet, la contredanse, le «
douze et demi », etc.? Nos jeunes gens, qui, les samedis soir, au cours
des décennies 1940 et 1950, ne pouvaient pas se rendre à Cabane
Choucoune, à Miramar ou dans d’autres boîtes de nuit huppées, ne
dansaient-ils pas allègrement le « dyouba » et le « tonton-n te » chez
Hermann Petit-Homme (Bann Hermann)? De nos jours, c’est le cas de dire: «
Ce ne sont pas les danses qui manquent, mais les danseurs. » Dommage que, depuis la chute du président Fabre Nicolas Geffrard (en
mars 1867), qui avait fondé en 1860 L’Ecole Nationale de Musique, nous
n’ayons jamais eu aucun gouvernement, à part bien sûr celui de
l’Honorable Dumarsais Estimé, à élaborer et à mettre en œuvre une
politique culturelle, à étaler une vision culturelle au bénéfice de la
jeunesse haïtienne! En vue d’atteindre son objectif, le Président Estimé
s’était entouré de citoyens instruits tels que Jean Brierre, Jean
Fouchard, Roussan Camille, etc. Les festivités marquant, en décembre
1949, l’ouverture de l’Exposition Internationale du Bicentenaire de
Port-au-Prince en sont la preuve la plus éloquente. Avouons en toute
objectivité que le général Paul Eugène Magloire, bon gré mal gré, avait
aidé en fondant à Port-au-Prince un Conservatoire de musique d’assez
bonne renommée. Pour le diriger, le Président Magloire avait fait appel
au superbe violoniste et chef d’orchestre français Marcel Van Thienen.
Parmi les professeurs, s’étaient distingués le compositeur néerlandais
Karel Trow, les célébrissimes musiciens haïtiens Mme Carmen Brouard,
Dépestre Salnave, Solon C. Verret, Micheline Laudun, etc.
Puisque malheureusement la plupart de nos meilleurs musiciens, poètes,
artistes, éducateurs et autres belles têtes avaient dû fuir le pays à
l’arrivée au pouvoir du Dr François Duvalier, l’éducation artistique et
culturelle de ceux de ma génération (années 1960) et surtout des
suivantes n’a pas été faite – ou a été mal faite. Et, à mon humble avis,
la situation s’est empirée au cours des dernières années. Résultat: on
rencontre de nos jours des gens sans aucune formation, sans une
connaissance véritable de l’histoire de la musique haïtienne, qui n’ont
jamais fait aucune recherche sérieuse sur le sujet à y intervenir de
façon piètre. Quiconque essaie d’y apporter un peu de lumière, un
meilleur son de cloche devient immédiatement une bête noire. Alors,
certains, pour reprendre le mot de l’ancien sénateur Emile Saint Lôt,
refusant de « mourir en détail », préfèrent se murer dans le silence.
Décision somme toute malheureuse, puisque, la nature ayant horreur du
vide, souvent des médiocres s’improvisent chroniqueurs et directeurs
d’opinion, donnant alors une mauvaise direction à nos jeunes.
Venons-en à l’article de M. Joos. D’abord, chapeau bas à l’auteur!
Cependant, bien qu’il ait justement fait allusion au Jazz des Jeunes et à
l’Orchestre Issa El Saieh, si on le lit en filigrane, on s’aperçoit
qu’il a essentiellement fixé son regard sur le «compas direct ».
D’ailleurs, le titre de son texte est clair… « Toujou sou konpa ». Dès
l’introduction, il annonce la couleur: « Je suis un Blanc frappé d’une
addiction particulière: je ne peux vivre sans ma dose quotidienne de
compas. » Du coup, j’ai esquissé un sourire, et me suis dit que Dieu a
amplement béni Haïti sur le plan musical. M. Joos m’a alors franchement
fait penser à certains étrangers qui, dans les années 1950, étaient très
étonnés de la richesse de la musique haïtienne. Citons, en vrac: le
diplomate et professeur américain Mercer Cook, le Dr Angel Fonfrias,
l’universitaire portoricaine Lisa Bauer qui étaient tous fascinés par la
musique jouée par le Jazz des Jeunes et par l’Orchestre Issa El Saieh;
le pianiste Donald Shirley qui avait vu des demi-dieux en Lina Mathon
Blanchet, en Ti Roro et en Lumane Casimir; la chanteuse birmane,
déléguée des Nations unies, Ma Than E Fend, qui était restée gaga devant
les morceaux du folklore haïtien; des musiciens et artistes légendaires
tels que Catherine Dunham, Lavinia Williams, Bebo Valdés, Billy Taylor,
Budd Johnson, Lolita Cuevas, Diane Adrian, Celia Cruz, Daniel Santos et
bien d’autres encore avaient également mis chapeau bas devant la
méringue, notre musique nationale.
En vérité, comme M. Joos, « je martèle: la musique haïtienne est
exceptionnellement bonne », car autrefois, le monde entier s’était
laissé « hypnotiser » par la voix des Lumane Casimir, Emerante de
Pradines, Martha Jean-Claude, Rodolphe « Dòdòf » Legros, Guy Durosier,
Herby Widmaier, Joe Trouillot, Gérard Dupervil qui transmettait
divinement des pièces telles que Isit en Haïti, Déclaration paysanne,
Billet, Patience ma fille, Lenglensou, Choucoune, Odan na mire, Fleur de
mai, etc. En avril 1951, à l’occasion de la « Haitian Week », à New
York, Guy Durosier, Jean Léon Destiné, Lumane Casimir, Ti Roro, Ti
Marcel et Alphonse Cimber avaient émerveillé le public new-yorkais au
Ziegfield Theatre, à Broadway (The New York Times, mercredi 9 mai 1951,
p. 29). À la même date, c’était le tour de Lina Mathon Blanchet et de sa
troupe «Haïti Chante » de laisser pantois plus de 30 000 festivaliers
de toutes langues, de toutes races et de toutes nations sur les bords du
Potomac, dans le cadre du « Cherry Blossom Festival ». Que dire alors
du succès inouï quelque temps plus tard du Jazz des Jeunes et de la
Troupe Folklorique Nationale lors de l’inauguration de la station de
radio havanaise, la C.M.Q! Félix Guignard, le premier pianiste du Jazz
des Jeunes, s’en souvient les larmes aux yeux: « A un certain moment,
les spectateurs étaient montés sur l’estrade en criant: Des Jeunes! Des
Jeunes! Des Jeunes! » (Entrevue de Louis Carl Saint Jean, LCSJ, avec
Félix Guignard, 3 mai 2008).
Franchement, je ne peux m’empêcher de penser au brillant maestro Raoul
Guillaume qui s’était lamenté sur notre musique de danse en ces termes: «
Il est déplorable que le compas direct soit le seul genre joué de nos
jours par les groupes musicaux du pays … Leur talent aidant, nos
musiciens auraient dû explorer et exploiter d’autres styles tels que la
cadence
rampa, le ibo, le yanvalou et surtout la méringue haïtienne… »
(Entrevue de LCSJ avec Raoul Guillaume, 7 octobre 2004). Or, ce problème
aurait pu être facilement contourné. Je pense rapidement à trois
solutions, parmi d’autres. D’abord, chaque année, les autorités
compétentes (ou le secteur privé) auraient pu organiser un concours de
méringue haïtienne et un autre de chansons folkloriques. Seraient
attribués aux gagnants des « Prix Ludovic Lamothe », « Prix Lina Mathon
Blanchet », «Prix Antalcidas Murat », « Prix Augustin Bruno »...
Ensuite, les producteurs auraient pu exiger des groupes musicaux
l’incorporation au moins d’un morceau de méringue lente ou semi lente et
d’un du folklore national (cela sans les jazzer) dans leur disque.
Finalement, la Radio-Télévision Nationale pourrait offrir
quotidiennement une émission dans laquelle, aux heures de grande écoute,
seraient diffusées, avec des commentaires sérieux, de jolies pièces de
méringue haïtienne et des autres types musicaux de notre terroir.
Croyez-moi, notre jeunesse, si curieuse et si friande de savoir,
finirait par s’y habituer et s’en délecterait.
Je veux alors bien me pencher maintenant sur le sujet de musique « rétro
». Parlons-en de façon sérieuse, l’esprit calme, la tête bien vissée
sur les épaules. Pour assurer ce genre d’émission, il faut d’abord des
chroniqueurs compétents, qui connaissent parfaitement l’histoire de la
musique haïtienne, nos différents genres musicaux, le parcours de nos
anciens musiciens, et possédant également – et pourquoi pas! – une
solide éducation classique. Rendez-moi fol ou sage, on ne peut pas
prendre le risque de confier la formation de la jeunesse d’un pays à des
individus qui n’ont aucune culture. À mon humble sens, pour parler de
musique « rétro », il faut commencer par considérer les groupes qui ont
existé bien avant les années 1960 – 1970. Mentionnons, par exemple, le
Jazz Scott, le Super Moderne Jazz Guignard, le Blue Baby Jazz, le Jazz
des Jeunes, l’Orchestre Issa El Saieh, etc. Alors, on pourrait présenter
des groupes moins « vieux » tels que Chouboum, l’Ensemble Latino, les
Shleu Shleu, Shupa Shupa, Les Gypsies, D.P. Express, etc.
Dans les années 1940 et 1950, ce travail a été réalisé splendidement sur
les ondes de la HH2S (Radio Port-au-Prince) avec l’émission « L’heure
de l’art haïtien », animée par Clément Benoit, sur celles de la HH3W
(Radio Haïti du progressiste Ricardo Widmaier) avec Wandha Ducoste
Wiener, sur celles de Radio Pétion-Ville et de Radio Commerce avec
Georges Duplessis. Dans la presse écrite, la formation musicale de
l’Haïtien était assurée par les Constantin Dumervé, Roger Savain (Le
Nouvelliste), Marcel Salnave (Haïti Journal), Jacques Large (Optique),
Marat Chenet, le dévoué délégué et membre fondateur des « Jeunesses
Musicales Haïtiennes ».
J’applaudis alors avec enthousiasme M. Joos quand il affirme si
éloquemment: « La technologie a appauvri la musique. » Non seulement
elle a appauvri la nôtre, mais elle a également plongé notre patrimoine
musical dans un état relativement léthargique qui dure depuis déjà près
de six décennies. Pour le ranimer, trois initiatives pourraient être
conçues. D’abord, des changements importants devraient être apportés au
système éducatif haïtien.
Il serait bien de favoriser chez nos élèves l’appréciation de la
littérature tout en développant chez eux la capacité à bien s’exprimer
dans nos deux langues nationales (le créole et le français), tant à
l’oral qu’à l’écrit. Cela nous aurait permis de faire d’une pierre deux
coups. D’un côté, le public serait devenu plus exigeant, en toisant
toute œuvre musicale médiocre. De l’autre côté, les textes interprétés
sur les pièces musicales deviendraient plus potables, grâce à la bonne
éducation qu’auraient reçue nos futurs musiciens et compositeurs. Nous
devons encourager, même en 2014, la mise en musique de paroles
merveilleusement travaillées. Il n’est nulle part stipulé qu’un morceau
de musique, même populaire, voire fait à des fins commerciales, doive
être pauvrement écrit. En fait, pour répéter mon ancien adorable
professeur de mathématiques, M. Edner Saint-Victor: « La musique ne doit
pas s’adresser exclusivement aux reins; elle doit surtout s’adresser à
l’esprit. »
C’est une bonne éducation et / ou un génie naturel qui ont permis aux
merveilleux poètes Jean Brierre, Emile Roumer, Maurice Casséus, Estrop
Jean-Baptiste, Marcel L. Sylvain, Roger Louis-Jacques, Lormond Henri…,
aux sublimes troubadours et « simidors » Antoine Radule, Annulysse
Cadet, Antoine Hilaire, Dòdòf Legros, Joseph « Kayou » Franck, Rémy
Neptune, Robert Molin et aux autres fabuleux bardes anonymes de sculpter
magiquement des joyaux qu’ont mis en musique ou arrangés des génies
tels que Antalcidas Murat, Raoul Guillaume, Guy Durosier, Gérard
Dupervil, Edner Guignard, Michel Desgrottes, etc. Des chefs-d’œuvre tels
que « Marabout de mon cœur », « Fanm Saint Marc », « Nuit de novembre
»,« Soirée perdue », «Désaccord », «Comme jadis », « Fleur de mai », «
Ma brune», «Promenade »,« Denise », «Esmerelda » et d’autres peuvent
parfaitement illustrer ma pensée.
En second lieu, je pense que les pouvoirs publics, de concert avec le
corps enseignant, devraient encourager les institutions scolaires à
initier nos élèves, dès au moins l’âge de huit ans, à la musique, au
chant, à la danse et à nos différentes traditions artistiques et
musicales. Il serait donc bien de fonder à l’intention de nos jeunes de
bonnes écoles de musique, dirigées par des musiciens et des professeurs
compétents et non par nos copains. En ce sens, nous ne tarirons jamais
d’éloges à l’égard des éducateurs visionnaires de l’Ecole Centrale des
Arts et Métiers, de l’Institution Saint Louis de Gonzague, du Petit
Séminaire Collège Saint Martial (PSCSM), de l’Ecole Sainte Trinité, de
l’Ecole Frère Adrien du Sacré-Cœur, etc. Ce sont ces institutions
scolaires qui nous ont donné Raymond Sicot, Wébert Sicot, Kesnel Hall,
Alphonse Simon, Gérard Dupervil… (Ecole Centrale), Serge Lebon, Raoul
Guillaume, Guy Durosier, Ernest «Nono » Lamy… (Saint Louis de Gonzague),
Lyncée Duroseau, Robert Geffrard, Paul Choisil, Raymond Marcel, Joseph
Arsène Durosèl, Lionel Laurenceau… (PSCSM), etc. La musique, selon moi, doit remplir deux rôles principaux: celui
d’amuser et celui de former. Cela est surtout vrai pour le peuple
haïtien que ses dirigeants, depuis plus d’un siècle, a réduit, à tous
les points de vue, à sa plus simple expression. En ce début du 21ème
siècle, nous ne pouvons pas nous laisser à applaudir ceux que Ernest «
Nono » Lamy, virtuose du piano, avait coutume d’appeler si justement des
« joueurs de musique » et à encenser des « woy - woy » indigestes qui
courroucent les mœurs. Je crois que la musique doit être faite par des
musiciens bien formés et/ou par ceux qui possèdent un génie naturel pour
cet art. Ce n’est alors pas du tout le fruit du hasard si, dans les
années 1950, des ensembles tels que « Chouboum » et « Latino » ont fait
la joie du pays. Quel délice en écoutant un peu plus tard Ibo Combo!
Guidé par Herby Widmaier, ce groupe, avec des musiciens prodigieux tels
que Serge Simpson, Alix « Tit » Pascal, André Romain et d’autres encore,
nous avait présenté une musique de niveau très élevé.
Puisqu’il n’y a pas de génération spontanée, rien donc d’étonnant que,
un peu plus tard, on ait vu l’éclosion, avec les moyens du bord, de
groupements que l’histoire de la musique haïtienne a retenu sous le
label de « mini jazz ». On écoute toujours avec frisson Les
Ambassadeurs, Les Fantaisistes de Carrefour, Bossa Combo, Tabou Combo,
Skah Shah, les Frères Déjean, Magnum Band, etc. Les Kiki Wainwright,
Ernst Ménélas, Marc Yves Volcy, Raymond Cajuste, André «Dadou » Pasquet,
Yvon « Kapi » André, Yves Joseph (dit « Fanfan Ti Bòt »), Yves Arsène
Appolon, Jean Elie « Cubano » Telfort, Mario de Volcy et d’autres
(impossible de les citer tous) ont fait un travail admirable dans des
textes qu’ils ont mis eux-mêmes en musique.
En troisième lieu, puisque « un prince dans un livre apprend mal son
devoir », il serait utile de remettre sur pied des troupes de danses
folkloriques, des chœurs folkloriques, une Troupe Folklorique Nationale,
des salles de théâtres qui serviraient de temples de notre culture.
Nous ne pouvons ne pas penser aux troupes « Makaya », « Lococia », «
Aïda », à la Troupe Folklorique Nationale, au Chœur Michel Déjean et à
d’autres encore. Par exemple, c’est la fondation en 1949 de la Troupe
Folklorique Nationale et du Théâtre de Verdure Massillon Coicou qui
avait permis au public de découvrir nos meilleurs chanteurs, musiciens,
danseurs et autres artistes et d’autres célébrités mondiales (Marian
Anderson, Billy Taylor, Ginney Mayhew, etc.)
Quel dieu a inspiré M. Joos pour qu’il écrive: « En somme, quand la
musique haïtienne ne lorgne pas vers les grandes modes internationales …
et qu’elle puise dans les spécificités folkloriques et ses racines
latinos, elle est à son plus haut niveau. » Je n’ai rien à y ajouter, ni
rien à en retrancher. En peu de mots, l’auteur a mis à nu le phénomène
d’acculturation qui ankylose l’esprit de notre jeunesse, une jeunesse
haïtienne toujours traditionnellement portée vers les choses sublimes,
cette jeunesse qui, jadis, adhérait à des cercles littéraires
idylliques, pour dénoncer haut et fort le « bovarisme culturel ». Je
parle de cette jeunesse haïtienne qui s’était laissé guider par les
écrits du Dr Jean-Price Mars, qui, avec son « Ainsi Parla l’Oncle »,
avait meublé l’esprit des Antalcidas Murat, des Dòdòf Legros, des Guy
Durosier, des Raoul Guillaume, des Gérard Dupervil, lesquels nous ont
laissé en héritage de sublimes morceaux de pétro, d’ibo, de congo, de
valse créole et aussi de méringue haïtienne.
M. Joos continue merveilleusement sur sa lancée en pensant que: « … la
musique haïtienne a brillé lorsqu’elle s’est éloignée des standards
internationaux et s’est inspirée du folklore haïtien […] Le mouvement
folklorique a perduré et l’indigénisme s’est renforcé. » Un peu plus
loin, il écrit: «…En France, la loi exige que 40% des chansons qui
passent à la radio soient françaises. Je n’ai jamais entendu une mélodie
haïtienne ces dernières années sur la radio française, alors qu’à
Port-au-Prince, à chaque fois que je prends le bus, j’entends Cabrel ou
Sardou…»
Là, il me fait penser à mon ami Georges Bossous, Jr., l’un des rares
intellectuels haïtiens à avoir le courage de condamner ouvertement
l’acculturation dans nos traditions musicales. En décembre 2013, dans
une interview accordée au journaliste Anthony Pascal (dit Konpè Filo),
de Radio Télé Ginen, M. Bossous a eu le courage de déclarer: « Les
médias ont la responsabilité de participer activement à l’éducation
musicale de la jeunesse haïtienne. Il est inconcevable que les artistes
étrangers soient beaucoup plus familiers aux jeunes du pays que les
nôtres. Aux heures de pointe, on aurait dû diffuser presque
exclusivement la musique haïtienne au lieu d’intoxiquer notre jeunesse
de musique étrangère... » Cela dit, je crois que M. Joos a commis trois petites erreurs dans son
texte. La première est celle-ci.
Lorsqu’il écrit que « Issa El Saieh a été le pionnier dans ce domaine en
intégrant des percussions et des rythmes nationaux dans son orchestre
de jazz », si, ici, « pionnier » veut dire «innovateur », je ne crois
pas qu’il ait tout à fait raison. Sans citer exclusivement les ensembles
de « La République de Port-au-Prince », je peux signaler que l’Ensemble
de Granville Desronvil à Plaisance (1936 – 1937), le Surprise Jazz à
Port-au-Prince (1936 – 1937), le Jazz Capois (1941 – 1942) et dautres
encore, bien longtemps avant celui d’Issa El Saieh, avaient utilisé le
tambour conique (voire la caisse claire) dans leur instrumentation.
(Entrevue de LCSJ avec le tambourineur capois Emmanuel Elysée, 14 mai
2009). Si l’on doit parler objectivement de pionnier dans l’introduction
de rythmes nationaux dans les ensembles musicaux d’Haïti, l’honneur
doit en revenir sans aucun doute aux maestros François Alexis Guignard
et Félix «Féfé» Clermont.
Sa seconde erreur se situe dans le lieu de naissance de Nemours
Jean-Baptiste. Ce dernier n’est pas né à la Place Sainte Anne (au
Morne-à-Tuf). Il a plutôt vu le jour à « Lakou Labissière », non loin de
l’ancienne cathédrale. Donc, M. Joos avait plutôt voulu parler de la
Place de la cathédrale (au Bel-Air).
Je signale, en passant, que c’est cette même « Lakou Labissière » qui a
vu naître Félix Guignard et Edner Guignard, deux magiciens du piano.
D’ailleurs, c’est leur père, l’inoubliable compositeur François Alexis
Guignard (dit Père Guignard), qui a initié à la musique Nemours, le
frère de celui-ci, Montfort Jean-Baptiste, Dormelas Philippe et d’autres
encore.
En troisième lieu, je veux rapidement souligner à M. Joos que le morceau
« Kote Moun Yo » (Ibo Records, LLP 113), délicieux rabòday arrangé par
le génial Antalcidas Murat, a été chanté plutôt par Emmanuel Auguste et
non par Gérard Dupervil.
En passant, parmi ceux qui se penchent sur le « compas direct », M. Joos
est l’un des rares à reconnaître la valeur de Webert Sicot, qui fut, de
l’avis de tous les musciens des années 1950 – 1970 (Louis Télémaque,
Emilio Gay, Serge Simpson, pour ne citer que d’anciens musiciens du
groupe de Nemours), de loin un meilleur musicien et surtout un meilleur
saxophoniste que Nemours Jean-Baptiste. Sans conteste, Nemours a été un
meilleur « showman » que Sicot, homme plutôt timide, en dépit de son
génie indiscutable.
Dans sa conclusion, M. Vincent Joos a écrit: « … J’espère qu’en 2015, il
y aura en Haïti de grandes manifestations culturelles pour commémorer
les trente ans de la disparition simultanée de Nemours et de Ti Manno...
» Qu’il me soit permis de poser un regard un peu plus profond sur
l’attente de l’auteur. Moi, j’appelle de tous mes vœux l’organisation en
2015, 2016, 2017… bref, chaque année de grandes manifestations
culturelles pour commémorer les énièmes années de la disparition
d’Occide Jeanty, de Nicolas Geffrard, de Werner Anton Jaegerhuber, de
Ludovic Lamothe, de Justin Elie, de Luc Jean-Baptiste, d’Augustin
Bruno, d’Antalcidas Murat, de Guy Durosier, d’Auguste «Candio » de
Pradines, d’Alexis François Guignard, d’Issa El Saieh, de Lumane
Casimir, de Roger « Ti Roro » Baillergeau, de Lina Mathon Blanchet, de
Frantz Casséus… car si nous voulons parler plus sérieusement, ces êtres
hors du commun avaient beaucoup fait pour la musique haïtienne, disons
mieux, pour la culture haïtienne.
Au bout du compte, en me référant à la sagesse de l’excellent maestro
Raoul Guillaume, et croyant que la musique haïtienne, à cause de sa
richesse, doit être plutôt gardée à la loupe, j’avoue que: « Je suis
partisan de la coexistence pacifique de tous les rythmes musicaux
haïtiens, qu’il s’agisse du compas direct, de la cadence ranmpa, du
pétro, du yanvalou, de la méringue haïtienne, etc. » En tout cas, bien
que nous soyons « toujou sou konpa », la méringue haïtienne est la
musique nationale de la République d’Haïti! Crédit: Louis Carl Saint Jean
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