dimanche 10 juillet 2022

Parisien Fils-Aimé, plus d’un demi-siècle au service de la musique haïtienne


Il s’appelle Parisien Fils-Aimé. Son nom peut ne rien évoquer pour les moins de vingt ans. Cependant c’est l’un des doyens de la musique haïtienne. Au sein de l’Orchestre Tropicana d’Haïti, il chante depuis plus d’un demi-siècle. Depuis le 4 novembre 1966, plus précisément. Qui est cet homme qui sera à l’honneur le samedi 9 juillet 2022 lors de la 17e édition du gala « Le grand Nord en soirée » animé par Klass et l’Orchestre Tropicana d’Haïti à Miami ?

« Promettez-moi de ne pas me poser des questions auxquelles je ne pourrai pas répondre », prévient-il timidement avant même que l’on ne commence cet entretien téléphonique. Visiblement, cet homme de la scène dont la voix et la plume ont porté plusieurs des musiques qui nous font danser n’est pas un habitué des médias. Il joue prudence et circonspection. 

Grand mélomane, Parisien Fils-Aimé naît le 8 avril 1947 au Cap-Haïtien. « Je n’ai pas grandi dans un environnement musical comme beaucoup d’autres. Je n’étais ni enfant de cœur ni membre d’une chorale. Mais chez moi, il y avait un poste de radio. J’écoutais religieusement de la musique et je connaissais tous les chanteurs à la mode », se souvient M. Parisien. 

S’il n’est pas allé à la musique, cette dernière est pourtant venue à lui. Tandis qu’il va passer des vacances au Borgne, il fait la connaissance de « Avenir des jeunes », un groupe de vacances. « Je les regardais interpréter certains morceaux et je leur ai dit : « Ce ne sont pas du tout les paroles que vous dites ."J’en étais certain parce que j’avais l’habitude d’écouter à la radio les chansons que le groupe interprétait. C’est alors qu’ils m’ont proposé de venir les aider ». Il accepte volontiers ! 

Ainsi débute sa carrière musicale, mais c’est au sein de l’Orchestre Tropicana d’Haïti qu’il fera ses vraies armes. En 1966, Adrien Pierre, un des anciens chanteurs de Karayib, le groupe ancêtre de Tropicana lui demande s’il ne serait pas intéressé à chanter pour l’orchestre. C’est une occasion en or pour celui qui a toujours voué une admiration à Tropicana, la Fusée d’or internationale, fondée en 1963.

Après la rencontre et convaincu de son talent, on lui propose de venir suivre les séances de répétition. À cette époque, Charles Pierre Noël était le maestro et directeur musical de l’orchestre. Son heure vient le 4 novembre 1966. Il doit remplacer sur scène un des chanteurs qui était tombé malade. Trois ans plus tard, il trouve sa place comme chanteur attitré de l’Orchestre, remplaçant Gérard Michel qui lui-même s’occupera beaucoup plus de la sonorisation de l’orchestre. Giordany Joseph et Paul Edouard Jean le rejoindront un peu plus tard. 

Outre les chansons qu’il interprète, on lui doit aussi plusieurs compositions telles que « Plante pye bwa », « Je t’aime » « Nou refize granmoun », « Ti madanm », « An al pi fon », « Mwen sonje w cheri », « Poukisa », « Malonèt kache ». Il se rappelle l’un des premiers succès carnavalesques de l’orchestre qui leur permet en 1969-1970 de séduire un plus large public. « Après cette meringue, on est rentré à Port-au-Prince, à l’invitation du groupe les Dragons pour une prestation au lycée Toussaint Louverture », ajoute-t-il, rappelant cette étape charnière pour le groupe. Mais son meilleur souvenir avec Tropic remonte à 1973, l’année à laquelle le groupe part en tournée à l’étranger pour la première fois. « C’était mon premier voyage, je n’ai jamais oublié ce moment », confie Parisien Fils-Aimé.

56 ans après, l’Orchestre Tropicana est devenu pour lui une seconde famille. Il y a eu certes des petits démêlés, comme dans toute grande famille, mais l’aventure ne s’est pas arrêtée pour autant. « En tant que musiciens, nous passons plus de temps ensemble qu’avec les membres de nos familles », explique-t-il. Avec un calendrier très serré et des dates bien établies depuis des années, l’Orchestre parcourt le pays et honore des soirées un peu partout en Haïti aussi bien qu’à l’étranger. Noël ou nouvel an, micro en main, ce musicien, homme marié, père et grand-père fait danser les fans. Certes la pandémie et l’insécurité en Haïti ont affecté l’industrie du divertissement mais la machine Tropic continue de tourner. 

Mais comment et pourquoi donner plus de 50 années de sa vie à la musique, à un groupe ? « Ma génération avait le sens du sacrifice. Nous étions prêts à donner le meilleur de nous-mêmes pour tenir tête à nos adversaires », s'enorgueillit-il. L’adversaire dont il parle - sans aucune mauvaise foi bien entendu - n’est autre que l’Orchestre Septentrional d’Haïti. Fondé 15 ans avant Tropicana, il a toujours existé une saine polémique entre ces deux orchestres du Nord. Face à un challenger de taille, il fallait être ambitieux et c’était un des moteurs qui les poussait à aller de l’avant. 

Pour Parisien Fils-Aimé, outre le fait que l’Orchestre Tropicana fonctionne comme une véritable institution qui permet à chacun de ses membres de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, il y a aussi un fort sentiment d’appartenance. Les gens du Nord, dit-on, sont fidèles à leurs amours. « Si on aime, on aime. Si on n’aime pas on n’aime pas. Nous demeurons attachés à ce que nous sommes. Menm si l ap kraze, n ap ret la », avance M. Fils-Aimé.

Grand fan de football, le chanteur nous confie qu’il est resté attaché au Brésil et au football sud-américain en général sans pour autant négliger le football local. « Mon équipe n’existe plus. C’était Vertières. Je supportais cette équipe parce qu’elle a subi les mêmes choses que l’on a faites à Tropicana. On les a maltraités, mais c’était une équipe qui avait beaucoup d’orgueil et qui a battu presque toutes les autres », assure-t-il non sans fierté. Même s’il ne cite pas nommément ses groupes et artistes préférés pour ne pas créer de jaloux, on sait au moins qu’il adore écouter le jazz et la musique country pour s’endormir. 

À deux jours de cette soirée d’hommage, Parisien Fils-Aimé ne cache pas ses sentiments. « J’apprécie énormément ce geste. C’est la première fois que je serai à l’honneur. Je suis tout ému, je ne sais même pas comment réagir. Je suis heureux de savoir que d’autres musiciens que je n’ai pas vus depuis longtemps seront aussi là. Franchement, je n’ai qu’à dire merci. Merci … parce qu'ici on a tendance à attendre la disparition des gens pour leur rendre hommage », déplore Parisien Fils-Aimé, la voix remplie d’émotions.


Crédit: Winnie Hugot Gabriel

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